Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

vendredi 18 mars 2011

Japon vu par mon ami Xavier.

C'est avec bonheur que je "publie" à sa demande, ce texte de Xavier Klein.

Le Japon est un pays de contraste, c’est un lieu commun.
Montagnes/plaines côtières.
Île d’Hokkaïdo au climat nordique/îles Ryukyu au climat subtropical (on navigue entre Québec et Cuba).
Hyper-modernité/tradition.
Hyper-industrie/culte de la nature, etc., etc.
Il est difficile de trouver lieu où l’organisation sociale et la culture se soient plus adaptées aux conditions géographiques et économiques que sur le sol nippon.
Ce pays est réellement et indiscutablement fascinant pour qui se donne la peine de le connaître et de s’y rendre.
J’avance cela sur le blog «chulien», que l’on sait parcouru de cette ouverture à "l’autre".
Malheureusement, ce n’est guère une destination touristique courue, ne serait-ce que pour des raisons économiques : la vie y est chère pour celui qui veut «touristiser» à l’occidentale.
Des raisons pas seulement économiques: à Kyoto on gèle l’hiver et l’on étouffe l’été, saison des pluies, ce qui colle assez mal avec les migrations estivales françaises.
Le français moyen préfère les destinations «à prix cassés», le soleil, le clubmed franchouillard, propice au libertinage (Bienvenue à Galaswinda, darla dirladada, ya du soleil et des nanas…), l’exploitation satisfaite du boy-indigène enfin remis à sa vraie et rassurante place: inférieure.
La chose est évidemment inenvisageable au Japon, où l’on devrait sur de multiples points plutôt prendre quelques leçons de «savoir vivre ensemble».
Le japonais ne se laisse pas faire, il n’est ni malléable, ni inféodé, il a surtout conscience de sa DIGNITE.
Gênant n’est-ce pas pour le surhomme occidental bien rosé.

J’ai voyagé deux fois au Japon, et je ne rêve que d’y repartir.
Je dis voyagé et non «touristisé».
A chaque fois, j’ai découvert ce pays en compagnie d’amis japonais, hors toute structure touristique. J’ai dormi dans les temples zen, les dojos d’arts martiaux, les ryokans (auberges traditionnelles), ou sur les tatamis de maisons amies d’une hospitalité sans pareille. On raconte l’histoire de ce samouraï d’une grande pauvreté qui sacrifia son unique bonsaï pour réchauffer l’humble moine qu’il abritait.

C’est un peuple réellement très difficile à comprendre, parce qu’il est réservé et secret et vit selon des codes complètement différents des nôtres.
Vivant pendant cinq avec mes amis Nohara, il m’en a fallu trois pour prendre conscience que le mot NON n’existe pas pour un japonais, et que s’il existe, il n’est jamais prononcé.
On dit «Peut-être» ou «C’est difficile»… Il faut comprendre entre les mots.
Cela ne relève en rien de la duplicité, mais plutôt d’un code fondé sur le RESPECT de l’autre, que l’on ne doit ni offenser, ni soumettre à la honte.
C’est subtil et délicat, dicté par des siècles d’une vie communautaire intense, imprégnée de confusianisme, de bouddhisme et de shintoisme.
Car les japonais ne sont pas devenus «comme cela» par hasard. C’est la résultante d’une adaptation vitale à leur environnement.
Vivre nombreux sur un espace d’autant plus réduit qu’il est essentiellement montagneux impose des contraintes, entre autres celles d’une société hyper hiérarchisée et disciplinée.
Les ressources agricoles locales ne permettent pas, et de beaucoup, d’alimenter les 127 millions de japonais. Ils sont condamnés à importer et acheter de la nourriture, donc à exporter et vendre d’autres biens pour simplement SURVIVRE.
Cet impératif VITAL a dicté une politique expansionniste et colonialiste de la fin du XIXème siècle (annexion de la Corée en 1910) à la capitulation de 1945. L’attaque sur Pearl Harbour de 1941 est d’ailleurs une réplique à la politique d’étranglement économique et d’embargo menée par les USA de Roosevelt.
Cet impératif VITAL les a également conduits à développer des capacités d’adaptation hors du commun. Ainsi de 1868 à 1895 (guerre de Chine), les réformes de l’empereur Meiji font passer le Japon du Moyen-Âge et de la jonque, à l’ère industrielle et au dreadnought (cuirassé de ligne). En 1854, par la canonnière, le commodore US Peary, humilie le Japon. En 1905, dans le détroit de Tsushima, la flotte impériale japonaise anéantit la flotte impériale russe.
Depuis la dernière guerre, le Japon a renoncé à l’impérialisme militaire, lui préférant un impérialisme économique qui l’a porté au rang de troisième puissance économique mondiale, sans ressources agricoles, sans sources d’énergie, sans matières premières: ADAPTATION.
Voilà donc un pays complexe, paradoxal, secret, pudique et fier, difficile à cerner, soumis à l’épreuve terrible d’un séisme et d’un tsunami de dimensions exceptionnelles.

Nous suivons à la télévision, en famille, des évènements qui nous meurtrissent, parce qu’ils nous renvoient à un peuple que nous connaissons, à des amis que nous choyons. Dans le même temps, on peut lire ou entendre sur le net et dans la lucarne magique des propos scandaleux.
Hier soir, une soirée était consacrée au Japon sur Envoyé Spécial (Antenne 2). Elle m’a presque autant donné la nausée que la lecture de Marc Delon, que décidément je ne comprends plus.
On y voyait un reportage sur les pompiers français envoyés en renfort: extraordinaire! Le sujet n’est plus l’action nécessaire de sauvetage, les malheureux concernés, mais se centre sur nos braves pioupious, sauveurs des pauvres nippons.
Tout est ravagé, mais la caméra filme des quasi-touristes humanitaires qui batifolent dans les ruines, ne paraissant nullement pressés par l’urgence, se répandant en explications complexes sur les tenants et aboutissants de leur action.
On se fait de la pub sur le malheur d’autrui.
Qu’on communique certes, mais pas sur un tas de cadavres, c’est indécent!
A coté de cela, on ne peut-être que frappé par le RESPECT des sauveteurs japonais quand ils déterrent une dépouille: un recueillement et un sens du sacré dont on devrait s’inspirer! De même que ces gens, cette femme que l’on confronte aux corps de toute sa famille: nul éclat, nul hurlement, des larmes discrètes qui pointent pudiquement, puis on joint les mains, on se recueille et on prie.

On y entendait aussi le commentaire presque indigné du journaliste étonné qu’on lui limite l’entrée du gymnase où il aurait pu jouir et repaître son public du spectacle de la détresse des réfugiés. L’entrée du zoo exotique demeurait interdite.
Ne sait-on plus le sens du mot DIGNITE, du refus compréhensible d’être donné en spectacle?
Il y a des mots, il y a des images qui vous donnent envie de tuer, d’anéantir tant de commis voyageurs de l’impudeur, de l’insensibilité, de l’indécence.

J’ai mal au Japon, j’ai mal à ces frères en humanité, tellement différents et tellement proches. Tellement meurtris.
J’ai mal, incroyablement mal à ces «liquidateurs» qui sacrifient consciemment leur vie pour refroidir la fournaise, comme avant eux leurs frères russes l’avaient fait à Tchernobyl.
Et j’ai mal à ma France, à mes frères en humanité devenus imperméables à une souffrance qui n’est devenue qu’un spectacle qui augmente les audiences, ou pire un objet de dérision.
Il paraît qu’on ne donne guère pour le désastre japonais: ils sont riches, et abondamment dotés de stock de citrate de bétaïne, les «hépatiques»…
J’ai mal et j’ai honte à ma France … la honte: un sentiment très universel mais en voie de disparition.
Bienvenue à Fukushima, darla dirladada, ya du radium et des geishas…
Xavier KLEIN

6 commentaires:

pedrito a dit…

Sacrés ingrats, ces japs,

On leur envoie des caméras, des micros, des pompiers, bien de chez nous, et ils ne manifestent aucun débordement sentimental, aucune reconnaissance éperdue envers nos efforts.

Pourtant, c'est bien connu et reconnu dans le monde entier: le Français est au-dessus de la mêlée( voir d'ailleurs le match France Italie !)
Ces japonais me rappellent les espagnols: il y a près de quarante ans, des bons petits français de Toulouse condescendaient à leur apporter avec leurs centimes à l'occasion de virées touristiques plutôt envahissantes, alors que ce pays frère, écorché et martyrisé depuis près de quarante années de dictature, émergeait enfin du franquisme ...
Eh bien, nos touristes gascons franchouillards et donneurs de leçons rentraient au pays en critiquant la cuisine espagnole, notamment, parce que....." Pendant une semaine, ils n'avaient pas trouvé un resto qui leur serve un CASSOULET" ou un bon steak saignant!!!!!

J'avais déjà, malgré mon jeune âge "mal à la France". Rien ne change, au contraire, et avec nos peigne-cul et prétentieux "journaleux", çà ne s'arrangera pas de sitôt

Beau texte, Xavier, digne de l'humaniste que tu es, et digne de Chulo
Abrazos

Xavier KLEIN a dit…

Je te rassure Pedrito, on avait les mêmes dans les Landes quand ils partaient s'encanailler dans les bobinards outre-Bidassoa...
Le français est donneur de leçon, yaka voir avec l'affolé boucalien (Oups! pardon Chulo, j'ai blasphémé...)

Maja Lola a dit…

Très beau texte. Rappeler le courage discret, recueilli, indéfectible de ce peuple me semble un bel hommage à leur rendre dans leur souffrance.
Ce texte aurait pu tout simplement s'intituler : DIGNITE

el Chulo a dit…

Au fond Xavier, tu vois, au fond on ne parle bien que de ce qu'on aime et connait parfaitement.

une antithèse de l'anti culture internet qui nous inonde.

Anonyme a dit…

Le Japon doit être un pays magnifique, et pour avoir lu sur le sujet, pour pratiquer depuis très longtemps une discipline issue de ce pays, je m'intéresse à cette contrée. Région du monde où je n'ai pas encore eu la chance d'aller (mes activités professionnelles ou touristiques m'ayants plutôt amené vers des pays arabo-persiques ou latins),mais je ne désespère pas. Toutefois, je me permets un bémol à ce texte qui quelque part idéalise la société nippone vis à vis de la notre. Il est écrit que le japonais à le soucis du "respect de l'autre". Oui, mais de façon limité, car c'est un pays où la peine de mort est, sauf erreur de ma part, encore pratiquée. Et même si on peut admirer ce peuple, lui trouver à juste titre de nombreuses qualités intellectuelles, culturelles et même, soyons fous, cultuelles, un pays qui maintient la peine de mort, n'est pas totalement tourné vers le respect de l'autre. Mais ce n'est que mon avis.
av d'Isa

Xavier KLEIN a dit…

Nobody's perfect...