Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

mardi 22 novembre 2011

Une si modeste famille

L'un des mythes qui fut véhiculé sur Franco, concernait la modestie de son train de vie, dans le sens d'un sacrifice permanent et quasi ascétique pour son pays, l'Espagne. On parlait aussi de cette lampe qui jamais ne s'éteignait dans son Palais du Pardo, car il « veillait » sur les espagnols.



Celui qui involontairement, ou naïvement parle le mieux de Franco, au niveau de son comportement privé et quotidien est son cousin, Francisco Franco Salgado-Araujo, dit Pacon, qui passa sa vie aux côtés de Franco, et retranscrivit fidèlement ses diverses conversations. Ses écrits, marqués à la fois par une admiration sans borne mais aussi une grande naïveté pourraient presque parfois constituer un portrait à charge, ce qui à l'évidence, n'était pas le but recherché.



Ce qui ressort donc de la lecture, est une vie personnelle d'une incroyable médiocrité. Franco ne s'intéressait à rien, ne lisait pas, méprisait les « intellectuels ». Il avait une passion pour la télévision, les matches de football, les films à l'eau de rose, la loterie, voulait peindre, comme Carrero Blanco, publia deux livres navrants, tout en publiant sous un pseudonyme des charges anti sémites et anti maçonniques. Comme nous l'avons déjà évoqué il restait d'un mutisme total en famille, ne se confiant qu'à quelques familiers avec lesquels il avait partagé les délices du Maroc. C'est un thème sur lequel il revenait sans cesse, inlassablement et longuement avec ses rares amis.



Un des sujets d'inquiétude du bon Pacon, était toutefois les coûts exorbitants des chasses, mais également des pêches à bord de l'Azor. De plus Franco aimait la quantité et ne laissait pas refroidir son fusil. La presse faisait des comptes rendus émus et admiratifs des prouesses du Caudillo. Il eut par ailleurs un grave accident de chasse en 1961 qui eut pour conséquence de faire prendre conscience aux dignitaires du régime qu'il n'était pas immortel et réactivèrent les vaines spéculations sur sa succession monarchique.



Une de ses caractéristiques était un fort instinct grégaire, avec une propension particulière envers les militaires, qui toutefois réduisait ses proches, auxquels il vouait une fidélité totale, à quelques rares unités. On sait que son éminence grise, d'une certaine façon, l'Amiral Carrero Blanco passa pratiquement plus de 30 ans à son contact immédiat. Pacon, faisait partie de ce cercle très intime.



Sur les rapports à l'argent, Franco avait conservé de son passé militaire au Maroc, une tolérance pour les pillages, comme un tribut normalement dû au vainqueur. Lorsqu'il emmena les premières troupes indigènes, « los regulares », le pillage faisait partie des arguments pour faciliter les enrôlements. Les légionnaires du « Tercio », eux qui n'avaient pas d'attache sociale, à l'image de la Légion Étrangère Française, n'avaient aucune raison familiale ou sentimentale de rapatrier leur butin mais avaient un goût particulier pour les dents en or, peu encombrantes et prélevées sur les cadavres.



La famille de Franco n'avait pas de biens. Celle de sa future épouse, Carmen Polo était riche. Lorsque Franco commença à « fréquenter » la jeune Carmen, les parents de celle ci virent son union avec un militaire, de rang moyen, on le surnommait « el comandantin » et qui plus est enrôlé au Maroc d'un mauvais œil. « Pourquoi pas un torero » disait perfidement le futur beau père. C'était considéré comme une mésalliance.



Mais Franco, Général à 33 ans devait remporter cette bataille. Si on peut penser que la seule chose qui intéressait le futur Caudillo était sa gloire et la satisfaction de son immense quoique toujours très cauteleuse ambition, son épouse était extrêmement mondaine. Mais aussi plutôt du genre « rapace ».



Il est curieux de constater que si, lors de sa « formation » au Maroc, Franco était plutôt épanoui et disert, marié il se mura dans le silence. Si on comprend qu'en tant que bénéficiaire de protections divines, il avait tout intérêt à adopter des postures de Sphinx, vis à vis de l'extérieur, il étendit son mutisme à sa femme.



Carmen Polo fut extrêmement flattée lorsque sa fille épousa un membre d'une relativement bonne noblesse mais dans le besoin, qui se signala par une rapacité extrême, multipliant les licences d’importation, (Vespa) par exemple et profitant de sa position très privilégiée. Il fit partie du dernier bunker, et médecin réputé, il dirigea l'équipe en charge de Franco mourant. On sait que Franco connut une mort particulièrement pénible, car ce bunker était soucieux de le « prolonger » jusqu'au renouvellement des Cortes.



Pour revenir à Carmen Polo, son intérêt pour les bijoux était légendaire. A tel point qu'on raconte que lorsqu'elle se déplaçait dans une ville, certaines bijouteries préféraient fermer le rideau. En effet, elle ne manquait pas de se faire un petit plaisir, et il eût été fort malvenu d'envoyer la facture au Pardo. De même le dentiste de Madame devait se sentir honoré de soigner l'auguste bouche.



Il est vrai que la famille Franco reçut aussi en dons, quelques inestimables propriétés comme « El Pazo de Meiras », « el Canto del Pico » ou le palais « de Cornide » à la Coruna. Dans le même ordre d'idées, la famille Franco ( sa fille Carmen et le fameux marquis de Villaverde son époux), avaient « acquis » avec la collaboration de Franco la « finca de Villaverde », dans les années 60, « finca » de presque 1000 hectares. Franco s'en occupa dans ses moments perdus, et cette finca fut très productive, à tel point qu'on la nommait « la SA de SE(su Excelencia) » et qu'elle employait plus de 300 ouvriers agricoles. Avec sa naïveté habituelle, l'ineffable Pacon écrivit :  « C'est une propriété splendide, où se cultivent une infinité de produits. Il y a aussi du bétail. Par chance, on y trouva de l'eau. D'ici quelques temps elle aura une valeur incalculable ».

Lors de la transition, nul ne voulut investiguer sur ce que la dame avait emmené avec elle, mais elle confondait allègrement les cadeaux d'Etat avec des gâteries personnelles, et en quarante ans on imagine ce qui a pu être accumulé, outre les propriétés. De même une grande partie des archives du dictateur brûlèrent dans un providentiel incendie.



A la mort du dictateur, cette magnifique propriété fut délaissée, on y tourna même des westerns et des films pornos. Les héritiers de la fille de Franco n'avaient pas les mêmes talents que leur mère qui siégeait dans une cinquantaine de sociétés, et alimentèrent la « prensa basura ». Ceci dit, quelles que soient leurs nullités, la fortune familiale leur permit et permet toujours de vivre confortablement. On ne parlera pas de l'immeuble dans lequel finit ses jours la veuve de Franco, dans le quartier très huppé de Salamanca, le seul quartier qui fut à Madrid épargné par les bombardements franquistes, car repère de la Cinquième Colonne. Elle n'y avait pas un appartement, mais tout l'immeuble lui appartenait. On a prévu de construire plus de 4000 habitations sur la « finca de Villaverde » ce qui attira dans leur sillage un sulfureux investisseur immobilier éleveur de toros qui prit quelques éclaboussures récemment à Marbella. (euphémisme).



Ceci dit, lorsque la veuve de Franco mourut en 1988, elle recevait 12,5 millions de pesetas sur 14 mois, quatre millions de plus que Felipe Gonzales, alors Président du Gouvernement.



Franco lui savait tout des magouilles et scandales. Les militaires de haut rang par exemple avaient souvent des affaires à coté et employaient des ouvriers à bas prix. Soit des « menacés » soit des « prisonniers ». Mais vis à vis de ces fautes il maintint toujours la même position : il savait, le faisait savoir, ne sanctionnait pas mais exigeait en retour le maximum de « souplesse ».

Ainsi, le « malheureux » n'ignorait rien de l'épée de Damoclès qui pendait sur sa tête. Il restait, quant à lui, toujours sur le concept de la mise à sac « légitime » par les vainqueurs.



D'un autre coté, Franco était depuis toujours fourni en chaussures par un admirateur. Ces chaussures lui causèrent probablement une phlébite lorsqu'il fut particulièrement malade. Au médecin qui lui fit la remarque de prendre des chaussures plus confortables il répondit que c'était une mauviette.



Franco avait deux frères. Nous nous intéressons ici à Nicolas ingénieur naval. Probablement plus doué que Franco, il commença une carrière prometteuse et fut nommé en 1935 Directeur Général de la Marine Marchande. En 1937, il fut soupçonné d'avoir participé au sabotage de l'avion de Mola, décédé officiellement dans un accident. Ainsi, le chemin était libre pour Franco. En fait deux personnes furent fusillées, soupçonnées d'avoir placé une bombe dans l'avion.



Dès les prémices de la préparation du coup d'état, il s'assura par la suite de la collaboration du Portugal, qui devait dès le départ offrir une voie sûre pour les approvisionnements des rebelles. Il occupa des positions éminentes auprès de son frère dont une en tant qu'ambassadeur d'Espagne au Portugal, ce qui, permettait également de surveiller de près l'Héritier du trône, Juan de Borbon.



De retour en 1958, il fut nommé Procureur aux Cortes, mais également contrôla de nombreuses entreprises telle que la future REPSOL , La Transmediterranea, FASA-Renault et fut également impliqué dans la banque Coca. On voit que les proches de Franco furent toujours partie prenante dans de juteux négoces.



Il fut impliqué directement dans un gros scandale de trafic d'huile d'olive. Non content de découvrir une double comptabilité, c'étaient tout de même plus de 4000 tonnes d'huile qui manquaient, ce qui représentait de l’ordre de 170 000 000 de pesetas. Nicolas Franco faisait partie du Conseil d’Administration de la société REACE incriminée. Il y eut quelques décès étranges. Le procès débuta le 21 octobre 1974. Quelques décédés furent accusés, les vivants ne furent pas inquiétés. Le précieux Président de ce Tribunal était Mariano Rajoy Moreno, père de qui nous savons ! Mais on ne choisit pas ses parents !




lundi 14 novembre 2011

Sa Sainteté Franco

Parmi les énigmes de Franco, sa relation avec la religion et plus particulièrement le catholicisme, est celle qui devrait le moins poser de problème. Toutefois, là encore, il poussa les choses au delà d'un certain « raisonnable ».



Par exemple, ce qu'il faut bien appeler un fétichisme l'a attaché jusqu'à la fin de ses jours à la « mano incorrupta de Santa Teresa ». Sur le point de savoir dans quelles conditions exactes il prit possession de cette relique, il existe diverses versions.



En tout cas, cela fait suite à la prise de Malaga en février 1937, à laquelle les italiens avaient largement participé. On a pu lire, à cet égard, que ces mêmes italiens l'avaient offerte au Caudillo. Elle aurait été retrouvée dans une valise, propriété du colonel républicain Jose Villalba Lacorte, et abandonnée lors de sa fuite précipitée de Grenade.



Une version « plus comestible » pour la symbologie franquiste, qu'un don des italiens, qui avaient fait « le travail » à Malaga, serait que les nonnes carmélites l'auraient confiée à Franco, lequel se serait engagé à ce qu'elle leur serait restituée, après sa mort.



Une autre dit enfin qu'il n'aurait pas donné le choix aux malheureuses nonnes dépositaires légitimes de la relique, et qu'elles essayèrent en vain de la récupérer.



A partir de cet instant, Franco devait ne plus jamais se séparer de cette relique. Elle trônait en évidence dans sa chambre, et il l'emmenait avec lui lors de tous ses déplacements en Espagne.



Alors, cette piété de Franco, simple calcul, comme certains l'affirment ou quelque chose du domaine de l'auto conviction ?



Il est vrai que sa mère était très pieuse et que, même militaire, il préférait l 'accompagner ou faire du cheval qu'honorer de sa présence, en compagnie d'autres militaires, les rades ou bordels que son père affectionnait. Déjà à l'Académie Militaire de Tolède, c'était un adolescent renfermé, élève médiocre, sujet aux moqueries de ses collègues qui le nommaient « Franquito ». Son jeune age peut aussi expliquer qu'il n'appréciait pas, là non plus les jeux « bordéliers » de ses petits camarades. Ceci, joint aux frasques de son père, avait certainement concouru à une période de frustrations intenses, qu'il combattait certainement par le sentiment de sa « différence » et des rêves de gloire dans l'armée du Maroc.



On lui connaît en vérité que bien peu d'aventures sentimentales sinon un épisode à l'eau de rose, au Maroc. La "belle", Sofia Subiran, fille du colonel Subiran, plutôt délurée aimait danser et Franco ne dansait pas. Il lui fit une cour assidue, et extrêmement chaste, jusqu'à se faire éconduire. Elle le trouvait fort courtois, attentionné, mais aussi, extrêmement ennuyeux. Il lui écrivit plus de 200 lettres dans la période de 6mois, entre janvier et l'été 1913.



A l'occasion de la pseudo rupture, il lui écrivit une lettre d'une désarmante naïveté et bien dans le style sinueux de l'auteur. « ….......je croyais qu'ainsi vous m'écririez plus souvent,mais voyez la sottise, que s'il me plaît de recevoir une lettre de vous, c'est que je vous aime beaucoup ou peu, (car je ne le sais pas), et vous ne m'aimez toujours pas, n'est ce pas Sofia ? »



Pour revenir au catholicisme de Franco, on a beaucoup parlé de l'influence dans ce sens de son épouse, Carmen Polo, très bigote. Sur ce qu'on sait de la vie intime de Franco, que nous analyserons aussi, car très révélatrice du personnage, et surtout avant les années de son déclin, il ne tenait absolument pas compte de ce qu'elle pouvait dire ou penser, et, si lors des Conseils de Ministres, il pouvait soutenir d’interminables soliloques, sans, disaient les ministres admiratifs, « pisser une seule fois dans la journée », en famille son mutisme était quasi total.



Je suis enclin à penser qu'il s'agit plus d'un processus mental. La vie militaire du Maroc, lui avait donné l'occasion de se distinguer, au prix, il est vrai d'un vrai courage, ou plus exactement mépris de la mort. Ajoutant à cela un sens aigu de la mise en scène, il aimait à se trimbaler à la tête de ses troupes, à découvert, et souvent sur un cheval blanc.



Ce fut tout d'abord une formidable revanche sur son enfance, et aussi les vexations qu'il avait subies. L'ascension fulgurante qui caractérisa sa carrière marocaine, puis cette blessure à laquelle il survécut, ont certainement contribué à la certitude d'une protection supérieure. Franco qui avait vécu aussi dans la compétition avec un de ses frères, Ramon, héros de l'aviation, qui avait réalisé une traversée de l'Atlantique, vit dans ses performances militaires une façon d'être un motif d'admiration, mais aussi de vénération, pour les troupes indigènes. Il y apprit une guerre sale, une violence extrême qu'il importa sur le sol espagnol, dans un premier temps pour mater la Révolte d'Asturies en 19834, puis ensuite, pendant toute la guerre.



L'adolescent souffreteux et ingrat avait trouvé là une revanche, mais aussi les motifs d'une ambition démesurée que rien n'arrêterait.



Dès le début de l'Insurrection, et dans la continuité de ce qu'elle avait manifesté de défiance à l'égard de la seconde République, la hiérarchie de l'Eglise se rangea aux cotés de Franco et lui fit ce cadeau fabuleux de parler d'une « Croisade ». Très officiellement via l'homélie des « deux villes » en Septembre 1936, puis de façon encore plus précise, en Juillet 1937, lorsque, par exemple les exactions de Franco, dont Guernica commençaient à avoir une résonance internationale. L’église devait donner une « légitimité théologique » au « Mouvement », dans l'accomplissement de sa « croisade  contre le communisme » par une « lettre collective ». Ceci permit de mobiliser à nouveau les lobbies catholiques et donc de « protéger » Franco.



L’Église espagnole n'eut pas à se plaindre de Franco, même s'il conserva longtemps dans ses prérogatives, le droit qu'il s'était arrogé de nommer les évêques. De la même façon qu'il devait supplanter le Roi en se nommant « régent à vie », il voulait, dans son pays supplanter le pape. Ceci se manifestant par sa manie d'entrer dans les cathédrales sous un dais. On sait par exemple que la remise en cause de Vatican II lui causa un vrai tourment, et vrai sentiment d'injustice.



Il y avait aussi chez Franco le rêve de revivre les splendeurs des Rois Catholiques et d'une Espagne impérialiste, conquérante et forte.



Parmi les hommes religieux influents qui ont côtoyé Franco, il faut nommer le Père catalan Joan Tusquets, qui serait à l'origine du mythe de la conspiration  « judeo, maçonnique bolchevique ». Il avait publié en 1932 un livre largement diffusé qui traitait des « Origines de la Revolution espagnole » où il assure que l’État d'après la chute d'Alphonse XIII, soit explicitement, la Seconde République espagnole, était dominée par « des juifs, des maçons et des républicains de gauche ». Les insurgés firent leur miel de cette ânerie avec en plus, le présumé complot communiste basé sur des faux,  et que Southworth avait démontée qui devrait être évoquée, cette ânerie,  sans cesse par la hiérarchie catholique. Aujourd'hui, plus aucun historien, toutes tendances confondues n'évoque plus cette imposture.



Le besogneux Tusquets, était parvenu à constituer une base de données concernant les francs maçons qui serait passée de 5000 suspects à 30 000. Il fut confesseur de Carmen Polo pendant la guerre civile, tout en alimentant son fameux fichier. Lorsque la guerre se termina, il refusa des offres de postes importants émanant de Franco et se retira. On pense qu'il fut horrifié par l'ampleur de la répression dont il fut un inspirateur.



On peut aussi parler de Bulart, le chapelain des Franco, confesseur de Carmen Polo, et pas forcément de Franco. Le Père Bulart avait le tire de « prélat domestique de Sa Sainteté », ce qui lui permettait de se vêtir en évêque. Il célébrait la messe quotidienne. Par contre semble t'il, Franco se confessait auprès de pères franciscains du couvent voisin de « El Cristo de El Pardo ». Toujours prudent, Francisco Franco.



Donc, il semble bien que Franco avait entièrement lié son sort à celui de l’Église, mais également qu'il trouvait dans la religion une légitimité à ses actes en même temps qu'une protection.




lundi 7 novembre 2011

La "baraka" de Franco

Curieusement, à ce point, je ressens la nécessité de faire une pause. Je compte les heures, les nuits et les jours pendant des années que j'ai passés en lecture sur la Guerre d'Espagne, sans m'épargner des points de vue qui certainement ne me convenaient pas. J'essaie de comprendre de façon quasi obsessionnelle les articulations et les rouages de ce désastre qui de plus se solda par pratiquement 40 ans de cet étrange objet politique qu'on nomme le « franquisme ». Comme s'il contenait, dans ses outrances des réponses à bien des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous, je veux dire, notre société.



Qu'on se rassure, parmi le fouillis de doutes, j'ai acquis un certain nombre de convictions. Comme pour la plupart des dictatures, fascistes ou non, il faudra revenir sur ce concept de « fascisme » dans le cas de l'Espagne, c'est le « chef » qui conditionne tout. Et Franco reste une énigme sur le point de savoir comment cet homme qui n'avait certainement pas les facultés intellectuelles de Salazar, ni le charisme un peu pompier de Mussolini, ni l'électrisante présence de Hitler a pu, contre vents et marées tenir sous sa domination un peuple jadis contestataire, volontiers irrationnel, et faire d'une prise de pouvoir que beaucoup parmi ceux qui le lui avaient concédé pensaient être transitoire un règne de près de 40 ans.



Pratiquement inculte, pitoyable orateur, complexé, timide certainement, on a bien sûr cherché des justifications psychanalytiques à une ambition féroce, probablement en réaction à une enfance et adolescence ternes et faites de frustrations, révélée et consolidée, cette ambition, par la guerre du Maroc et une ascension météorique. Méprisé par un père bambocheur, « bon vivant » dira t'on, mais aussi volontiers violent, probablement libertaire voire maçon, père qui n'hésita pas à quitter le domicile conjugal pour vivre avec une jolie institutrice, Franco n'aurait eu de cesse de faire oublier ces errements. D'où, par la suite, son obsession anti-maçonnique, anti-anarchiste, anti-libérale, anti-communiste. L'anti communisme étant plus probablement une acquisition postérieure, héritage de la carrière militaire.



Et par la suite, (1942) dans son incroyable production « littéraire-cinématographique » Raza il essayait de reconstruire l'image d'une famille exemplaire et d'un père héroïque. L’absence de culture de Franco lui permit de conserver et de cultiver ses certitudes, et d'ignorer la moindre auto critique, y compris lors de son terrible et pitoyable discours du 1er Octobre Plaza de Oriente, quelques jours avant sa mort et de trouver des explications à tous les problèmes de l'Espagne aussi bien extérieurs qu'intérieurs: une conspiration mondiale maçonnique, communiste et accessoirement anarchiste. Ajoutons à cela que le soutien inconditionnel de la hiérarchie de l'Eglise, conduisant à un si particulier « national-catholicisme », jusqu'à Vatican II dans sa phase la plus active, le convainquit d'une mission divine et d'avoir à mener une « croisade » même longtemps après la guerre.



Il vécut les années de son règne finalement cloîtré, entouré de courtisans qu'il gratifiait grassement, tout en probablement les méprisant, évitant les contacts avec le peuple si on excepte les grandes messes fascisantes organisées par la Phalange, ne se déplaçant jamais à l'étranger et encore moins en avion, probablement, ayant en mémoire les décès des généraux Sanjurjo et de Mola. Par contre, il adorait les grandes chasses très coûteuses, entouré de ses courtisans et de ceux qu'il voulait favoriser ou distinguer, par l'octroi de licences d'importation ou de titres nobiliaires. Mais aussi les pêches tout aussi coûteuses à bord de l'Azor, entièrement financé, lui aussi, par l'état. Il aimait pécher le très gros, jusqu'à la baleine. Il se livrait aux deux activités semble t'il avec le soucis de la « quantité » et de la « performance ». Il est en effet très curieux de constater que Franco ne s'est pratiquement jamais déplacé, si on excepte un voyage à Rome avec sa mère, et sa longue campagne militaire marocaine. Cette vision du monde nombriliste et autarcique lui évitait toute remise en cause ou modulation. Il resta toute sa vie en guerre contre l'autre moitié de l'Espagne, « franc maçonne », « libérale », « communiste » et « anarchiste », et par ailleurs victime d'un complot de la « franc maçonnerie » internationale, lorsque précisément le reste du monde émettait des réserves sur son régime. A la grande fureur de l'atrabilaire, ultra réactionnaire et très monarchiste évêque Segura, il pénétrait sous un dais dans les cathédrales, privilège exclusivement réservé aux Papes et aux Rois.



Mais Franco s'était décrété déjà Roi, puisque régent jusqu'à sa mort. Il adorait ces ostentations, distribuait les titres de noblesse, compensait le fait qu'il n'avait pas pu accéder à l'Ecole de la Marine, plus prestigieuse, en s'auto proclamant Grand Amiral et en se trimbalant dans l'uniforme blanc, au minimum d'Amiral.



Et plus j'avance dans ce terrible labyrinthe de la Guerre d'Espagne, qui d'une certaine façon se prolongea durant le règne de Franco, plus je suis fasciné par la trajectoire de ce petit homme, mais surtout, ce qu'il faut bien appeler son habileté, j'emploierai plus le mot diabolique que divine. Il arriva au pouvoir, le 1er octobre 1936 sur ce qu'il faut bien appeler un malentendu, puisque ses « adoubeurs », à l'exception de Cabanellas, pourtant franc maçon, pensaient que la guerre terminée, il rendrait le pouvoir. Les monarchistes militaires nombreux pensaient qu'il restaurerait la monarchie, les phalangistes qu'il initierait une « révolution » de type « national socialiste », les catholiques, eux à juste titre, qu'il les rétablirait dans ce qu’ils pensaient être leurs prérogatives, quelques militaires dont Mola, pensaient même qu'il instaurerait une république « autoritaire ». Bref, en dehors de protéger l'ordre établi, on était dans la « marmelade » idéologique.



Et c'est bien ce qui caractérise et définit le « franquisme ». Franco n'avait aucune idéologie, si on excepte ses phobies plutôt pathologiques, pas plus qu'une quelconque vision pour son pays. Il s’opposait seulement au « libéralisme », dans son acception espagnole, c'est à dire, ce "libéralisme" tentant de s'opposer à un « conservatisme » rétrograde. Le franquisme, malgré ses adaptations poussives, peu enthousiastes mais inéluctables au monde extérieur, n'était qu'une construction destinée à protéger Franco lui même et ses féaux devenus des « ayant droit ». Les plus ardents soutiens du franquisme devaient tout à Franco qui était garantie pour eux de conserver leurs exorbitants privilèges.



En interne, Franco sut toujours « naviguer » dans ces eaux troubles voire par moment tumultueuses.

De mon point de vue, quatre choses le sauvèrent, en interne, toujours. La première, certainement déterminante fut le soutien inconditionnel de la hiérarchie de l’Église, qui fit immédiatement, de cette rébellion, une « croisade », la seconde, l'appui juridique du très fasciste « cunadissimo » qui dès le début le convainquit qu'il fallait donner à la « rébellion » un cadre étatique permettant de « dialoguer » avec les puissances extérieures, la troisième, la division des généraux eux mêmes divisés entre les diverses tendances pré-citées. Il ne faut pas non plus oublier, ce que parfois on nomme sa « baraka ». Cette conviction d'une « baraka » avait pris racine suite à sa survie étonnante voire « miraculeuse » à une blessure sur le front du Maroc, blessure au ventre dont habituellement on mourrait obligatoirement. Ceci peu à peu, lorsque bien plus tard il se retrouva à la tête de la « croisade » le convainquit d'une protection divine. De même, cette « baraka » enleva de sa route, aussi bien Sanjurjo suite à son ridicule accident d'avion lorsqu'il revenait en Espagne pour prendre la tête de la « rébellion », puis plus tard, en 1937, le décès de Mola dans un avion probablement abattu, mais par qui ? qui demeure encore aujourd'hui une énigme pour les historiens. Pourquoi « baraka » ? Tout simplement parce que Sanjurjo détestait Franco qui l'avait durement critiqué après l'échec de l'insurrection de 1932, Mola lui, bien plus cérébral et intellectuel, tout simplement détestait Franco. Mais sans doute le point le plus déterminant, le quatrième donc, fut lorsque Primo de Rivera fut fusillé, ce qui laissait de façon évidente la Phalange disponible pour Franco, le malheureux successeur Hedilla, écarté par la suite durement par Franco, et même un temps condamné à mort pour une « insurrection interne » qui avait été montée de toutes pièces, pour fusionner la Phalange dans « el Movimiento ». Hedilla n'avait nullement la dimension de Primo de Rivera, ni son aura, ni son charisme. Il est évident que si Primo de Rivera était resté en vie, la cohabitation avec Franco aurait été bien plus problématique, car le fils de l'ex dictateur n'appréciait pas non plus le futur dictateur.



Quoique depuis ses débuts, Franco ait été impliqué dans la conspiration, et qu'auparavant, en 1934 il avait durement maté la révolte des Asturies, de 1934, avec des troupes marocaines, il traînait des pieds pour s'engager, sachant d'une part qu'en maîtrisant l'armée du Maroc il était, comme on dit à la télé « incontournable » et plus justement indispensable pour la réussite de l'insurrection, d'autre part qu'il méprisait autant Sanjurjo que Mola et il se voyait mal dépendre de Sanjurjo. Il est par contre probable que l'assassinat de Calvo Sotelo précipita les événements et finalement fut un point de non retour. De toutes façons, avec ou sans Franco, la rébellion avait été planifiée par Mola pour le 14 Avril 1936, donc bien avant cet assassinat, et après maints reports, pour cause de négociations tumultueuses avec les carlistes, dont les « requetes » parfaitement entraînes et armés étaient nécessaires pour la réussite de l'opération menée par Mola, à partir de la Navarre..



Par la suite et très vite, soit avant la fin du mois de Juillet 1936, Franco obtint l'aide de Hitler, qui ne voulait traiter qu'avec lui, et dans la foulée celle de Mussolini, aides qui furent décisives dans les premiers quinze jours après l'insurrection, en particulier pour organiser la traversée des armées du Maroc, « regulares » et « tercio », qui s'illustrèrent dans les terribles mois d’Août et Septembre 1936, alors qu'ils n'avaient face à eux que des milices désarmées et surtout désorganisées et en tous cas, en aucune façon préparées pour subir ces assauts. Jusque là, l'insurrection était plutôt un échec, et l'aide très précoce des nazis de Hitler et des fascistes de Mussolini, la collaboration des portugais qui permettaient le transit des armes, mais aussi des américains qui fournirent très vite en particulier des camions si nécessaires et surtout le carburant, permit la terrible marche forcée vers Madrid.



À suivre, si dios quiere !