Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

lundi 30 janvier 2012

Toro au coeur


Le petit toubib est entré encore plus pâle qu'à l'accoutumée, presque verdâtre, coiffé en pétard, comme toujours, ses tifs en cratère autour de sa vaste calvitie précoce, comme s'il sortait de son lit. Pas un bavard celui là. Une semaine avant, on avait percé ma poitrine, pour voir. « On ne comprend rien » dit t'il, « c'est dans votre cœur et ça a la forme d'une tête de taureau ». « Avec les cornes? » J'ai demandé. « Avec les cornes ». Il est reparti avec l'air emmerdé qu'il a toujours, mais un peu plus emmerdé, ajoutant qu'il allait en parler à Bordeaux. J'étais bien avancé. Ici, quand on ne sait pas, on en parle à Bordeaux.



Depuis que je suis à la retraite, j'ai du mal à monter les escaliers, le souffle court aussi. Alors, j’ai presque arrêté de fumer et fait construire un agrandissement, chambre, salle de bains, toilettes, télé, bibliothèque, bureau pour mon ordi, une manière de chambre d' hôpital, plus spacieuse, une suite plutôt, car je n'ai aucun soucis d'argent, très claire et ouverte sur les arbres du parc que Maria aimait tant, par de vastes baies vitrées. Le bureau d'en haut est fermé, ainsi que les chambres et les salles de bains. Personne ne vient plus me voir, et je m'en fous. A l'exception de Tonio et de Gina.



Ma fille fait sa vie en Australie avec un abruti, incendié de la tignasse, bouffeur d'aborigènes, de couilles d'agneau qu'il castre avec les dents, de crocodiles et de kangourous. Elle dit que depuis que sa mère est morte, elle ne peut plus venir ici, et puis, il y a MSN. Tu parles, il y a quinze ans que Maria est morte et notre fille n'a même pas pris la peine de venir, alors qu'elle fait ses courses à Londres. Le flamboyant est du style propriétaire terrien opulent. Et comme il ne m'a jamais invité, ni elle, il est vrai, je ne suis pas allé là bas. J'aurais pu, mais je n'aime pas les mygales, elles me font peur, tout comme les serpents, sans parler des crocodiles ni des requins. J'aime encore moins sa grande gueule de « bushman ». Donc, je regrette, sans plus; sans moins non plus, car elle ressemble à Maria.



Ici, depuis quinze ans aussi, Gina fait le ménage, tous les jours et prépare mes repas. Elle ne prend jamais de vacances Gina, elle est seule, comme moi. Alors, d'une certaine façon, chez moi, c'est chez elle. Toutes les semaines, elle nettoie l'étage à fond, « pour que ça ne s’abîme pas ». Quand je ne l'entends plus dans la chambre du haut, je devine qu'elle regarde mes photos de torero. Celle de mon toro de présentation de novillero à Madrid où on m'emporte à l'infirmerie en toute hâte. Maravilla, il s'appelait ce toro! Une « puerta gayola » et le toro en plein buffet. La corne est passée près du cœur et s 'est promenée dans un poumon. Ça la faisait pleurer Gina, de me voir les bras en croix, dans mon beau costume. « Vous auriez pu mourir ». J'aurais pu. Alors, nous faisions l'amour.



Après le coup de corne, j'ai repris mes études de droit puis fait l'avocat, comme mon père dont j'ai repris l'opulent cabinet. Une vie normale, très aisée de notable du Sud Ouest, avec Maria, jusqu'à ce qu'elle me laisse, au bord de la route, et que Gina me recueille. Je n'ai plus retouché une cape, même pas en « tentadero ».



Tonio n'a plus ni père ni mère. Il vit chez sa tante dans un campement de gens du voyage comme on dit. « Je peux entrer? » m'avait t'il dit un jour. Comme ça. Je lui ai dit "oui, si tu me piques rien". Depuis, il vient tous les jours le Tonio, après l'école, les autres jours aussi. C'est sur son chemin de vers nulle part. Gina lui donne son goûter, puis il s'assied avec moi dans mon bureau du bas, parmi les livres. Il réfléchit parfois intensément, et sa tête se fripe comme un pruneau. Sa passion serait de voir mon coup de corne. « T'as eu un trou ? » me dit t'il. Aujourd'hui il a ajouté: « Je te dis Gina, elle ne dit que des conneries », comme pour se rassurer. Il me raconte aussi ses histoires de 6éme, la prof de français qui l'emmerde, un gros tas de Louis qui le traite de « gitous », et une petite qu'il aimerait embrasser, mais elle l'évite. Elle est « bourge » me dit t'il. Il a de bonnes notes Tonio, pourtant je ne le vois jamais travailler, je paie sa cantine, les fournitures scolaires et Gina s 'occupe de l'habiller, à mes frais. On avait essayé de l'envoyer dans une espèce de colonie de vacances, mais assez évoluée, Il ne voulait pas dormir dans le dortoir. Ils l'ont retrouvé plusieurs nuits dormant sur la dune, et nous l'ont renvoyé. Il me dit qu'il travaille la nuit dans la caravane. En fait, je ne lui ai jamais rien demandé, c'est ainsi. Sa tante le reprend vers 19 heures, quand elle rentre de la ville. Elle siffle un bon coup, au portail, et n'a jamais voulu entrer. Tonio avait dit, un jour, « elle picole tatie, parce qu'elle est triste et ne sait pas lire ». Il ne sait pas encore que les riches, qui savent lire picolent aussi, parce qu'ils peuvent être aussi tristes, ou qu'ils s'ennuient, sans les soucis des pauvres. Gina lui donne des provisions et souvent le repas du soir. Tonio, dit « bon j'y vais. Qu'est ce que tu nous as fait à manger ce soir Gina? ». Maria savait siffler aussi, très fort, bien plus fort encore, elle avait appris ça au « campo », pour rappeler les chiens.



Depuis que les cornes ont poussé, j'ai de très fortes quintes de toux, et parfois, le sang me vient à la bouche. Alors je suis allé chez le notaire et ai réglé mes affaires, comme on dit. Une pension pour Gina équivalente au salaire que je lui verse, jusqu'à sa retraite, et le droit d’occuper la maison et aussi de quoi surseoir aux besoins éducatifs et autres du Tonio. J'ai aussi laissé une lettre d’explications pour ma fille. Lorsque je suis rentré, j'étais soulagé. J'ai tout expliqué à Gina, sans grandes précautions, comme toujours, où trouver les papiers, surtout. Elle a pleuré. Alors je lui ai demandé de rester cette nuit avec moi. Elle est maintenant un peu grassouillette, mais son corps est soigné, tiède et doux et sent la savonnette. Elle m'a pris dans ses bras et j'ai pleuré doucement, à mon tour, avant de m'endormir.



Le matin, j'ai décidé de partir. J'ai téléphoné à Javier, le père de Maria. « Bonjour Javier, j'arrive ». « Tu es chez toi fils », il m'a dit, comme toujours. Chez moi, c'est chez Maria, dans le Campo Charro, où Javier maintient toujours à grands frais une lignée de toros dont les vedettes ne veulent pas. Il avait envisagé de détruire son troupeau au profit d'un sang plus commercial. Maria lui avait dit que s'il faisait cela, elle ne remettrait plus les pieds à « Las Encinas ». C'était sûrement faux, mais il n'avait pas voulu prendre le risque. Maria était son enfant unique et il était veuf. Gina avait préparé ma valise, comme toujours avec des « emmenez ceci, emmenez cela, il fait froid là bas ». Avant je la laissais faire et partais avec 50 kilos de bagages quelle que soit la durée du séjour. Je lui ai dit, je n'ai besoin de rien, cette fois ci. Elle m'a accompagné jusqu'à la voiture, et m'a fait un signe de la main lorsque j'ai démarré. Elle pleurait.





Il faudrait que je demande à Javier, mais en fait, cela n'a plus la moindre importance, comment, après mon bac, j'ai pu débarquer chez lui, pour une année sabbatique. Mon père ne me l'a jamais dit, mais il avait arrangé sûrement l'affaire pour me féliciter de mon beau succès. Le fait est que j'avais débarqué au premier tentadero chez lui, dans une tenue de campo parfaite, neuve de pied en cap, capes et muletas flambant neuves et pliées. On aurait dit une "figurita" en visite. Javier il m'avait dit," je peux te prêter une cape et une muleta qui ont servi, et tu n'as pas un autre costume?" . Trois apprentis me regardaient en rigolant, mais discrètement, on ne sait jamais. J'avais bien vu qu'ils se foutaient de moi. Maria me faisait face, je m'en souviens comme d'hier adossée à un burladero, contre une cape complètement ruinée. Elle me regardait avec du rire dans ses yeux de nuit. « Je vais arrêter la vache » avait t'elle dit à Javier, et sans attendre la réponse, s'était placée.



Les vaches sortent ici éperdues de colère, avec peu de volume, mais une fureur impressionnante. Maria avait levé sa cape à deux mains, la balançant de droite à gauche pour vérifier si la vache la voyait, puis lui a donné une première passe vers l'extérieur, puis l'a reprise, « heyyyyyyyyy vaquita » de cette façon "campera", privilégiant l'efficacité et la mise à l'épreuve de l'animal. Après une série nerveuse, testant chaque fois un coté de l'animal, elle lui fit un "recorte" violent, pour l'arrêter. Les flancs de la vache, éperdue de colère, battaient en soufflet; Maria reprenait son souffle aussi, la regardant immobile et réajustant doucement sa prise de cape.

à suivre, un jour!

mardi 24 janvier 2012

Des toros, il dit, le" tout petit" de la "vieille dame"!!


Voilà, Padilla prévoit de revenir, je ne sais où ! C'est l'aficion ! On va se presser pour voir le borgne ! Sans moi !



Voilà, peut être ira t'on en escadrille, avec quelques valeurs sures sélectionnées voir Carmen, Angel et leurs amis. Pour boire un bon coup, et se souvenir quand les toreros étaient toreros, les toros toros, les revisteros revisteros, ce fut si rare, et les seuls qui exercèrent la profession furent broyés par les milliards de chiffre d'affaire de la corrida.



Bref un autre monde.



Avant Dede était de gauche, quand pour avoir quelque contrat dans les Landes, il fallait faire ami ami. Bien que sa seule valeur tauromachique suffisait largement à justifier cette préférence. Ouais !



Valeur, d'ailleurs largement confirmée par sa confirmation d'alternative à Madrid. J'y étais. Ouais !



Certains très impliqués disent : « il ne sait plus où se situer ».



Ça, on avait bien compris.



Après avoir dézingué les élevages « infumables » c'est du belge, de Parentis ou ailleurs, vanté les exceptionnelles qualités de bravoure du Juan Pedro like dans la muleta, les exceptionnelles qualités des toreritos, qui seuls pouvaient remplir les arènes, et toréer mieux qu'on n'avait jamais toréé, me cago, après nous avoir insultés pollués, dénigrés, nous les ayatollas, le voilà qui demande des toros.



Mais voilà, les aficionados ne « vivent » pas en général de la corrida. C'est une passion plutôt onéreuse. Lui vit de la Corrida et n'aurait aucun intérêt à ce qu'elle se déshonore . Pourtant !



Il a tout fait, le devoir de mémoire auquel il n'aurait jamais dû toucher, la propagande avec les « propagandistes », l'anti Psoe primaire, les saloperies, et il n'aura pu empêcher qu'au terme d'une consultation bananière, Casas fasse partie des gagnants.



Pourtant si on y réfléchit bien ce n'est pas depuis hier que la Communidad de Madrid est au PP et a détruit las Ventas. Esperanza l'aurait t'elle trahi, lui, "el prestigioso Presidente del OCT", ou aurait t'elle d'autres chats cornus à fouetter.



En tous cas, lui l'habitué de l'Ambassade, avec notre pognon, le fleuron de l'aficion française, ne redoutant pas de flirter avec tous les relents fascistoides, si heureux que le Psoe se soit fait battre, le voilà qui demande des toros !



Pauvre type !.






jeudi 19 janvier 2012

errata


Il n'aura échappé à personne que dans mon dernier post, j'ai confondu « Princesa » et « Victoria ».

Je veux m'en excuser auprès des puristes et singulièrement JLB.

C'est d'autant plus incompréhensible que lorsque je suis revenu à Madrid, l'an dernier, j'avais entamé un reconnaissance de « la calle de la Victoria ».

Il se trouve qu'actuellement, je pense beaucoup à la Rue Princesse, dite Rue de la Soif à Paris, où j'ai pas mal traîné mes guêtres à partir des années 66. Ceci d'ailleurs à l'occasion de certaines relectures, Blondin par exemple, qu'il nous arrivait fréquemment de rencontrer. Ceci devrait pouvoir expliquer cela, ou une sénilité précoce.

Question tabagie, je n'ai toujours pas cédé à la tentation.


vendredi 13 janvier 2012

douzième jour sans tabac: con un pensamiento para la condesa, el coro, y la calle de la Victoria de los anos 80


Je suis dans mon douzième jour sans tabac.



Le plus dur, c'est quand je suis seul. Et cet aspect m'étonne de plus en plus. En effet, mon épouse fume, bien plus raisonnablement que je ne « fumais », j'ose cet imparfait, à mes risques et périls. Hé bien, cela ne me gêne pas et peut être bien au contraire, qu'elle fume près de moi. Non que je gobe tel un poisson éperdu les volutes convoitées. Sûrement, un poil de narcissisme, mais plus sûrement encore, le besoin de m'accrocher à des images valorisantes.



De plus, n'en déplaise à Marc, et sans la moindre prétention, j'ai voulu tenter un arrêt brutal, programmé et réfléchi. J'ai vu beaucoup de mes proches se « patcher », mâchouiller des « gommes » miracles, se percer les oreilles, « s'acupuncturer », se « psychomachiniser », « se kinésithérapeutiser », donner dans la « cigarette électronique » et souvent replonger, ce qui peut fort bien m'arriver, mais cela m'aura coûté moins cher.



On m'avait dit, je l'ai aussi lu sur Internet, le sentiment de manque mécanique disparaît assez vite, 3 à 5 jours que l'organisme met à «éliminer » la nicotine. Ensuite, il s'agit d'un manque comportemental. Antonete avait dit, selon ma chère Carmen, la Condesa de Estrazas, « el tabaco es un gran companero ». Et c'est vrai qu'on est confronté à des situations réflexes, de gestes quotidiens que la cigarette accompagnait. Mais aussi, l'envie de renouer avec ce qui aussi, on ne l'oublie certes pas dans ces moments, était un plaisir.



En cette période misérable de renoncements à tout, donner l'impression de céder à la campagne intoxicante de désintoxication me gêne beaucoup. Mais il vrai aussi que j'ai beaucoup trop donné, depuis bien longtemps, et que si on veut une mâchoire qui cicatrise et un Service Après Vente sur des implants, il ne faut plus fumer. Il en est même un, dentiste, en Espagne, où le vrai « fantasme » de prix très étudiés et 40 à 50 pour cent de moins m'avait attiré, qui m'a dit : « il faut arrêter de fumer 3 mois avant, puis 3 mois de cicatrisation. C'est cool parce qu'on peut se dire qu'après, on peut reprendre ». Reste qu'il faut donc arrêter 6 mois. Et je me dis qu'ayant tenu 6 mois, hé bien, ce serait vraiment trop con de repiquer.



Restait tout de même ce paradis de tabagie qu'était l'Espagne ; on me confirme que c'est terminé, que ce terrible bastion a fini par céder. J'ai une pensée émue pour Carmen, la Condesa, et pour Angel, El Coro, qui devront aller fumer dehors. Par vanité, je les accompagnerai, sans fumer mais avec une vraie fausse modestie.



Avec aussi ces souvenirs émus des années 80 de bars, proches de la « Calle de la Victoria », enfumés comme des ruches au moment de la récolte de miel, avec des « criadillas de toros » baignant dans un jus verdâtre exposées derrière une verrière plus que douteuse.



Un de mes neveux que nous avions incité, son père et moi, à la rude épreuve, que par ailleurs nous n'aurions jamais tentée pour notre compte, avait osé la dégustation, après avoir vaillamment écarté quelques mouches dodues, luisantes, mordorées, opiniâtres et teigneuses. La vérité m'oblige à dire, qu'après avoir très bravement ingéré, avec moult vinasse et nos encouragements admiratifs, les douteux appendices, je n'ose dire abats, il dit tout aussi bravement : « c'est pas mauvais ». Le patron ressemblait soit à un Quijote en plus efflanqué, soit à un Cristo de Goya en plus pâle. Dans les deux cas, en plus sale.



Mon frère adorait cet endroit qu'il trouvait très typique et taurin. Nous y croisions toujours quelque « aficionado de verdad » auto estampillé Madrid, pour parler de la corrida ou des toros du lendemain ou de l'après midi. Il faut dire que cette calle de la Victoria regorgeait de princes incompris de la tauromachie, de figuras auxquelles on avait volé leur chance, de faux novilleros, de faux ex toreros, de faux imprésarios, de faux journalistes, de faux banderilleros, de vrais touristes à plumer en les initiant à la « vraie » tauromachie, de fausses speakerines, de vraies folles et de vraies putes et même de faux revendeurs. C'est dire ! Mais cela faisait aussi son charme, un océan tumultueux et nostalgique de mensonges, de rêves écornés, et finalement à fleur de peau et au bord des larmes, pour qui savait regarder et écouter, le difficile abandon des rêves de gloire. Olivier Deck a magnifiquement écrit sur ces lieux taurins et les rêves ébréchés dans ses superbes « Yeux noirs ».



Le teint du neveu virait façon jus des « criadillas », c'est à dire verdâtre. Lui habituellement si rieur et disert, de bonne compagnie, s'était muré dans un silence livide de glaciale indifférence façon cathédrale. Avec, toutefois, une sobriété quelque peu théâtrale et emphatique qui ne lui ressemblait pas, il a simplement dit : « je vais dégueuler », alors qu'en temps ordinaire, un événement de cette importance aurait animé une bonne heure de conversations, dans une simplicité de bon aloi, compréhensive, virilement complice et solidaire. Seule sa retraite précipitée vers la sortie en trahissait l'urgence, toutefois dans une certaine dignité relativement ordonnée. « Ah ces jeunes », avons nous connement dit, nous demandant tout de même où il allait larguer son trop plein. Il revint bien plus frais, sourire aux lèvres, et demanda « un puro » et « un tinto » pour se requinquer l'estomac. Nous avions vu là quelques raisons de fierté envers ce jeune homme méritant et téméraire qui ne fumait pratiquement pas, mâtinée toutefois, la fierté, de craintes pour son futur immédiat qui s'avérèrent injustifiées. Ce fut réellement une indisposition passagère. Comment ne pas voir là des vertus insoupçonnées du tabac ? Il faudra que je lui demande, bien que j'en aie une petite idée, où il s'était délesté de sa nauséeuse et encombrante cargaison.



On imagine mal toutefois ces lieux, aux murs jadis savamment tartinés d'un dépôt brunâtre, pur goudron, lessivés maintenant, nets comme des salles d’opération, avec le présentoir et le bar en inox ou autres matières tout aussi chaleureuses et aseptisées. Avouez que cela fait froid dans le dos, et pour un peu vous ôterait toute envie de boire.



Pour en revenir donc à mon sevrage tabagique, comme vous ne tarderez pas à me demander pourquoi j'ai mis une aventure si intime et risquée sur le net, j'avoue que cela ressort d'une stratégie délibérée d'informer un maximum de personnes de ma décision. Et comme je suis honnête, si j'échoue hé bien, je le dirai de la même façon. Ma vanité, mon narcissisme ne le supporteraient pas, donc, en quelque sorte, il s'agit d'un pare fou supplémentaire. Il faut savoir utiliser ses petits ou grands travers.



Car, de plus en plus, tout me semble être dans la tactique. Par exemple, ainsi que je l'expliquais à une très chère amie, je reste environné de briquets, de pots de tabac à rouler, de tubes, et j'ai un paquet de cigarettes dans la voiture. Toujours mes défauts pré cités : il me semble que si je m'interdisais ce choix, ce serait insupportable. La possibilité de choisir me motive plutôt.



Voilà donc quelques nouvelles du front.



A suivre ?












vendredi 6 janvier 2012

Cinquième jour sans tabac

Cinq jours putain de moine ! J'attaque le cinquième jour sans tabac.

Près de cinquante ans à consciencieusement asphalter mes poumons. Sûrement de quoi remettre en état les routes malgaches. Et vlan, j'avais dit, le 2/1/2012, j'arrête. Une nécessaire intervention dentaire nécessite l'arrêt du tabac. Donc, voilà !

Le matin, je me motive en constatant déjà l'absence de toux, une profondeur moelleuse pulmonaire insoupçonnée. Pourtant, nom de Dieu, cette cigarette du matin ! Et les autres, tiens, pour être juste.

Donc, j'ai compris aussi qu'il fallait que je m'occupe, alors je lis, plus que de coutume, cela occupe à la fois les mains et la tête.

Mon toubib, cousin par alliance et ami est basque et plutôt du style taiseux. « Je vais arrêter de fumer » lui avais je annoncé. « Ah bon ! ». J'attendais de chaleureux encouragements, la promesse d'une vieillesse sereine et triomphante. Rien du tout. « Tu peux m'aider ? ». Silence. « Il existe des trucs non ? ». J'insiste un peu suppliant. « Tu sais, lâche t'il à part le décider et s'y tenir, il n'y a pas de solution miracle ». Il est comme ça mon taiseux de toubib basque. Si vous consultez pour la conversation ou les potins, ou entendre ce qui vous ferait plaisir, ce n'est pas la bonne adresse. En plus, pas le genre à forcer la consommation, il n'a nul besoin de remplir sa salle d'attente.

J'avais commencé à écrire ce texte. Et puis, d'habitude, lorsque je cale un peu ou que les tournures ne me plaisent pas, bingo une cigarette ! Ça permet de prendre un air entendu, sartrien ou camusesque, et ça enfume considérablement mon bureau, des murs au plafond.

Lorsque les peintres sont venus, ils ont lessivé et m'ont fait contempler le jus brunâtre. « Imaginez vos poumons » m'a dit sévèrement le chef. En fait, les paquets de cigarettes, achetés y compris en Espagne qui fut l'un des derniers paradis du fumeur en Europe , ne laissent subsister aucun doute.

Donc, la glandouille, l'incroyable plaisir de ne rien faire, mâtiné d'une petite culpabilité judéo-chrétienne, la promesse rassurante du « je le ferai demain » ou plus perfidement, encore, « plus tard », avec le temps inutile qui se colle et se répand flasque aux molles volutes de la fumée, bref ce doux sentiment de néant contemplatif coupable et embrumé, c'est désormais totalement déconseillé et même insupportable.

Pour revenir à ce texte, donc, mes hésitations de clavier appelaient furieusement la nicotine. Je suis descendu au rez de chaussée que j'ai aspiré et lessivé.

Cela a le double avantage de m'épargner le regard lourdement désapprobateur de mon épouse, retour du boulot pour déjeuner, devant l'étendue des dégâts domestiques de ce con de boxer, et de me filer une bonne décharge de contentement de moi. Cet après midi, je fais l'étage ! Peut être! Ainsi le temps s’écoule sans cigarette. Et puis j'ai des voyages à faire à la déchetterie, probablement deux ou trois, ranger un peu le jardin. Il faut seulement s'organiser.

Je ne sais pas pourquoi, mais moi, la déchetterie j'aime beaucoup. En plus ici c'est propre et très compartimenté. Les employés sont affables, pas taiseux pour deux ronds, mais, toutefois, font peu de remarques désobligeantes sur ce que vous jetez. Pas du tout le style voyant les cartons de vins et autres alcools, « merde vous sucez pas les glaçons », ou « vous avez un bar ? ». Non ici beaucoup de retenue, la distance des connaisseurs, mais la rigueur des professionnels : « si c'est du carton, c'est du carton, c'est pas du plastique ou du papier, voyez, ici c'est carton, ici c'est incinérable », c'est clair non?J'en déduis que le carton n'est pas « incinérable », pas plus que le bois, noblement distingué, ou les métaux. Et puis, merde, je vais vous dire, « incinérable » je n'ai pas trouvé dans mon « pequeno » Robert, pas plus que dans mon Larousse. On comprend tout de même, non ?

Je leur en parlerai tout à l'heure, car moi qui suis un « incinérable » revendiqué, c'est à dire un « à incinérer », ce qui me distingue des autres, qui évidemment sont « incinérables » tout court, je ne voudrais pas que le terme porte à équivoque. Toujours ce goût pour la fumée. Seulement là bas, « incinérable » semble avoir une connotation péjorative, bien plus que « gravats », qui finissent noblement dans les remblais ou les autoroutes, « incinérable », lui, va brûler faute de mieux, dans un jus répugnant de désespoir de plastique qu'on imagine mal, ou de tristesse soumise, en espérant que la combustion produira plus d'énergie qu'elle n'en coûtera, et sans trop d'émission de CO2.

Il faudrait regarder de plus près ce qui part dans les « incinérables ». L'enfance, des objets qui parlent de leurs secrets oubliés, confiés ou confessés, et comme des traces d'acide, peut être, des larmes qui n'ont jamais séché, les victimes expiatoires de trahisons, de ruptures, de désespoirs ou de colères, ces objets qu'on n'aime plus parce qu’on n'aime plus ce que l'on a été, ou qu'on veut l'oublier, ou simplement, comme l'expression d'une liberté luxueuse, de pouvoir encore jeter, aussi de vraies laideurs répugnantes, qu'on a gardées par égards pour ceux ou celles qui nous les ont offertes. J'ai un tableau taurin ainsi, qu'on m'a offert, d'une laideur innommable et qui partira je le sais maintenant dans les « incinérables ». Mais aussi, d'autres objets c’est vrai qu'on a achetés car ils étaient « design », et qu'on ne peut plus voir, même pas en photo ou en peinture. « Fuego ! ».

« Fuego » donc purificateur ! Pas du briquet, ce coup ci ! Ni de l'incandescence du bout de la cigarette, merde, ça brûle non ? « Fuego » de la cheminée où le chêne se consume doucement. Pas le « fuego » non plus du bûcher et de la Sainte Inquisition. « Fuego » pour que cela se consume et s'échappe. Sans rancune, comme une page qu'on tourne. Et puis je me dis aussi que ceux qui ne pouvaient pas me sentir, ben, ils me respireront. Sympa non ?

Pour le moment, je ne prends rien. Je suis opposé à cette idée. Il va falloir te faire aider, on m'a dit. Curieux, les machins ersatz de ceci ou de cela, ils te coûtent autant que te coûtait le tabac. C'est vachement bien calculé. Moi cette idée me déplaît. Comme sucer une cigarette électronique, putain de merde !

Pour le moment, ça va. Et on ne peut pas dire que je n'étais pas fumeur. Ma femme fume raisonnablement. J'aime bien qu'elle fume à coté de moi, cela me donne de l'importance. Pour une fois que le machisme est productif.

Alors j'ai ouvert cette rubrique intime et confidentielle. « Histoire de nicotine ». On verra bien comment cela finira non ?