Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

mardi 31 juillet 2012

Un pays qui coule (1)


Nous rentrions de Diego Suarez. Deux jours de voyage pour 1200 kilomètres, au travers de ce Nord de Madagascar splendide. Dix heures tout de même pour se farcir les 400 kilomètres entre Diego et Antsohihy, prononcez Antsoui, dont pratiquement 4 heures pour couvrir les premiers 130 km entre Diego et Ambilobe, prononcez Ambiloubé.  Ici l’asphalte accompagne  tant bien que mal des trous aussi profonds et meurtriers que ceux de la Sécurité Sociale. C’est bien pire qu’une piste « claire », c’est-à-dire où on n’a pas à chercher sa route dans le sable. Et figurez-vous qu’en plus, on vous colle parfois des gendarmes couchés pratiquement indétectables pour certains, sur les portions praticables. Un ressort du 4X4 s’est détaché. Pas de problème, Mamy file sous la voiture 10 minutes et le tour est joué. Je dois progresser, en d’autres temps je me serais alarmé, peut-être même mis en colère, mais là rien. « Mora, mora » disent les malgaches ce qui chez nous pourrait donner, « tranquille » ou « cool ».

Déjà le Samedi, secoué comme un prunier sur le macadam défoncé, je pensais à Orthez, et à ce que Xavier et son équipe  avaient mis de soin, de réflexion, de prise d’initiative et de risques  dans la construction de leurs spectacles taurins.  De plus, tous les amis qui comptent pour moi, seraient là : le Deck, certainement toujours élégant, le Ludo qui délaisserait le Moun, le cher « largocampo » et tant d’autres. J’aurais distribué quelques Cohibas tout droit venus de Cuba, et aurais profité par proximité des fumées divines. Nous aurions, je pense aussi vidé quelques bouteilles, d’autant que de plus, d’après ce que j’ai compris, le spectacle fut à la hauteur des espérances des organisateurs et des aficionados. Comme quoi, Xavier a bien fait de respecter les consignes du «  converti  non repentant », l’insubmersible et inénarrable comique troupier du Boucau. Il faut toujours écouter les sages, et singulièrement Orthez qui  aurait dû se conformer aux  consignes du génie landais visionnaire bien avant.

Le Dimanche, la route était infiniment meilleure, et nous arrivions à proximité de Tana, alors que la nuit tombait, vers 17h30. Lorsqu’il roule,  Mamy coupe son téléphone. C’est celui de mon épouse qui sonne. Message affolé de Lanto : « pas moyen de joindre Mamy, j’ai une information importante à lui transmettre ». On informe l’intéressé. « Pffffffffffffff, fait –il   c’est toujours comme ça avec Lanto, elle s’inquiète toujours, lorsque je suis sur la route ».  Lanto est la sœur ainée, « vieille fille » de 65 ans, brillant professeur d’Université, toujours en exercice jusqu’à 70 ans nous dit -elle. Elle aime à se donner des airs sévères, mais ceux  qui la connaissent savent qu’outre son immense intelligence, elle est d’une sensibilité et d’un dévouement infinis pour ses étudiants, et que la situation de son pays la meurtrit au plus profond d’elle. Mon épouse répond par une formule neutre, du type « Mamy conduit, il te recontactera ». Dix minutes plus tard : « Où êtes-vous.  Il y a une mutinerie des forces armées, près d’Ivato. Tirs croisés violents.  Faites très attention. Répondez ! ».  Ivato, c’est l’aéroport de Tana, à une vingtaine de kilomètres de la ville. Notre route rejoindra celle d’Ivato, à proximité immédiate de l’Ambassade des Etats Unis. Moi, ça me rassure plutôt, je vois mal les insurgés menacer la forteresse de l’Oncle Sam, y compris par des balles perdues, car à n’en point douter, la riposte serait sévère et immédiate.  Mamy verrouillera seulement portes et fenêtres, surtout lorsque la voiture devra  se frayer un chemin parmi les piétons. « Des bandits profitent toujours de la confusion, dans ces cas-là », dit Mamy.  Il y a en effet encore plus de monde que de coutume, dans les rues et sur les routes, mais aucun signe de panique. Peut être seulement, une certaine nervosité quelque peu « électrique ». Mais peut être aussi, notre propre inquiétude que nous cherchons à dissimuler  en plaisantant un peu lourdement, influence t’elle notre perception, et par voie de conséquence, notre jugement. J’espère surtout que la situation ne durera pas et ne compromettra pas notre retour, cinq  jours plus tard. Pendant ce temps, les beaux toros portugais d’Orthez sortaient en piste et je pensais aux amis et plus particulièrement à « mon javierin ». «  Suerte » donc !

Arrivés sans encombre à l’hôtel en centre-ville haute, la télé nous apprend que la situation est sous contrôle. Un caporal, on croit rêver, serait à l’origine de la mutinerie. Avec  20 hommes il s’est emparé d’une armurerie et a essayé, en les achetant entre 5000 et 10 000 ariarys chacun, soit un maximum de 3 euros,  de convaincre des conscrits de se battre avec lui. Plusieurs questions se posent donc : qui va croire que ce caporal n’a pas été manipulé par quelque haut gradé ou ministre en exercice, des noms circulent déjà, on n’oublie pas non plus que 2 jours plus tard , l’ancien président déchu, et le nouveau depuis 3 ans président d’une hypothétique transition, aussi illégalement « élu » ou « mis en place » que le précédent,   doivent se rencontrer aux Seychelles, pour une réunion dont l’échec ne fait aucun doute et qu’il faudra bien assumer, ceci pouvant expliquer cela; enfin, qui a financé le malheureux caporal, probablement abattu dans l’ambulance censée le transférer, blessé,  à l’hôpital, mais tout aussi possiblement  qu’on a laissé sans soin, se vider de son sang, ce qui est plus discret, et en possession d’assez fortes sommes d’argent, au moins pour Madagascar. On peut supposer que beaucoup de monde avait intérêt à ce que le caporal surnommé virilement  « Black » ne parle pas. J’en parle au serveur du restaurant de l’hôtel. Lui ça le fait franchement marrer. « C’est encore  une connerie » affirme-t-il entre deux fous  rires. 3 morts tout de même, dont le caporal, pour le coup, épinglé,  et 3 blessés graves. C’aurait pu être pire, et on peut hélas penser que ce sera sûrement pire, un jour ou l’autre.

Les malgaches rigolent, mais façon rire de Paillasse. « ris donc paillasse, ris donc de tes malheurs, etc ». Ravalomana, le Président déchu avait déjà pris le pouvoir à l’ami de la France, ancien élève de Navale, l’Amiral Ratsiraka. Au début, expliquent nos amis, vaguement marxiste l’Amiral, a fait des choses puis le temps passant, il s’est laissé déborder par la cupidité des siens, qui probablement ne voulaient pas ou plus  partager le gâteau. Et cela a aussi son importance, Ratsiraka était un « côtier » de Tamatave.

 Ravalomanana est un  Merina, l’ethnie des hauts  plateaux et dominante à Tana, et souvent vigoureusement détestée par les autres ethnies, surtout les côtières. Les Merinas sont souvent riches, dominent dans la haute administration, sont cultivés, francophones, et contrôlent de fait une partie importante de l’économie malgache grâce à leur emprise sur la haute administration précisément. Ravalomamana, maire de Tana, était arrivé au pouvoir de façon assez douteuse, suite à un processus électoral tronqué et l’aide de l’armée. Ce flamboyant self made man, était le poulain des ricains, qui sûrement l’ont aidé dans ses affaires,  pour par la suite installer leur tout aussi flamboyante Ambassade. La CIA travaillait certains terrains via son antenne bienfaitrice US AIDS, et constituait un réseau. Lorsque les américains jouent les bienfaiteurs, on sait en général ce que cela donne et malheureusement, donnera à Madagascar.

Ravalomanana est un Merina atypique: pas issu d’une famille riche ou noble, pas francophone, self made man sûrement talentueux qui se lança dans le commerce du yaourt et fonda une entreprise florissante Tiko. Seulement voilà, l’argent autorise tout à Madagascar. Ravalomanana accéda à la Mairie de Tananarive, consolidant son entreprise par des marchés captifs, déjà hostile à toute forme de concurrence. Il parvint au pouvoir, avec l’aide de l’armée, laissant quelques morts sur le pavé. A partir de ce moment, il confondit son entreprise et Madagascar et avec sa famille prit le contrôle de tous les trafics. Insatiable, appuyé par les américains, il développa son empire, éliminant toute concurrence. Il voulut même s’en prendre à la langue française, pourtant langue « officielle » malgache et à laquelle l’élite de la haute administration  est attachée pour des raisons évidentes. Aujourd’hui encore, dans le lieu de réunion de ses « partisans », les tracts sont écrits, non pas en malgache mais en anglais………………..

A suivre