Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

jeudi 23 août 2012

Un pays qui coule (3)


l’irrésistible ascension d’un DJ




Le sémillant Andry Rajoelina est né en 1975. D’une famille d’origine noble mais chose étonnante à Madagascar plutôt impécunieuse. On sait en effet que les trois piliers du pouvoir sont ici, la noblesse, l’église et l’armée. Le  père de Rajoelina servit dans l’armée française. Ceci lui valut de disposer de la double nationalité franco malgache. Ses parents et sa sœur résidaient en France. Alors lui, il allait se partager entre la France et Madagascar.

 

Il fit des études médiocres qui ne l’amenèrent pas pratiquement au-delà du niveau de bac. De plus, multipliant les petits boulots, il fut célèbre en tant que DJ  animant les soirées chaudes de la « jet set » malgache et autres,  en particulier dans la boite de l’ex Hilton, actuellement Carlton à Tana. On dira que cette image lui colle un peu à la peau.

 


Comme les malgaches raffolent de presse à scandale, il court un certain de nombre d’anecdotes sur Andry, en particulier, dans sa jeunesse, une liaison très avancée avec Sarah Ravalomanana, fille unique du déjà fort riche, quoique non engagé en politique, au moins officiellement, futur Président déchu, qui aurait tout fait pour casser cette liaison qu’il jugeait inopportune, Rajoelina n’ayant aucune fortune et de plus étant normalement catholique. Si comme ce n’est pas improbable il y a un fond de vérité, il est certain que ce ne serait pas de nature à aller dans le sens de l’entente cordiale. Cette histoire somme toute assez banale aurait d’autres prolongements que je m’abstiens d’évoquer, et on reconnaît bien ici le génie des malgaches pour partir dans d’incroyables digressions, dans une démarche certes imaginative mais qui  n’a rien « d’historique.

C’est donc à Paris qu’il rencontra son épouse Mialy Razakandisa, ravissante par ailleurs, fille de famille richissime, avec en particulier une belle-mère redoutable en affaires. Il ne faut pas trop le dire mais madame Rajoelina, par ailleurs très active dans le « charity business », ne déteste pas passer régulièrement ses week end à l’Ile Maurice dans sa très select résidence, je dis très select, car il s’agit d’un machin horriblement cher et très jet set. Tout ceci nous éloigne un peu de ce peuple martyr. Bon, j’ai entendu de bien vilaines langues suggérer que le jeune Rajoelina, par ailleurs impécunieux, avait une attirance particulière pour les riches héritières.

En tous cas ce fut le point de départ d’une trajectoire hyper rapide, avec la création d’une société Inkjet dans le domaine de l’affichage publicitaire, société à laquelle allait s’adosser une société bien plus puissante de Madame Belle Maman, Nicole Razakandisa, société, la Domapub  dont il devient actionnaire et qu'il rachètera par la suite. Injet/Domapub détient alors le monopole de l'affichage publicitaire à Antananarivo.

 



En 2007, il rachète pour 400 millions de MGA (environ 150,000 €),  la radio et chaîne de télévision Ravinala, propriété de l'homme politique Norbert Ratsirahonana qu'il rebaptise Viva.

 

 Ravalomana vint au pouvoir, j’ai failli écrire, fut élu. Les élections lui donnaient une minorité – soit moins de 50% des voix- mais plus que Ratsiraka, mais insuffisante pour l’amener au pouvoir au premier tour. Il décréta avec quelques militaires et l’Eglise protestante  qu’il était vainqueur. La Haute Cour Constitutionnelle, toujours prête à aider le plus fort, entérina cette curiosité. Nous verrons qu’elle fera aussi bien pour Rajoelina .

Car enfin, si on commence à supposer la fraude électorale, on n’en finit plus, et mieux vaut donner raison au plus fort, d’autant qu’il faudrait chercher celui qui pouvait acheter le plus de voix. Bref, ce sont ces régimes qui veulent se donner des airs de démocraties, avec des institutions héritées de la France, mais totalement déviées de leur mission. Ça a l’apparence de la démocratie, car le peuple est censé voter, mais c’est autre chose. Il arriva donc au pouvoir, laissant au passage une centaine de morts sur le carreau. Ratsiraka préféra se retirer en France, où il vit un exil doré, certainement avec les économies réalisées durant ses années de règne. Bref en 2002 Ravalomanana s’est autoproclamé Président de la République Malgache, avec la bénédiction du Président de la HCC.

Et puis aussi, dans un pays où l’analphabétisme ne cesse de progresser, pour être supérieur à 50%, je voudrais qu’on m’explique le sens que peut avoir une démocratie, quand, avec un tee  shirt ou un petit billet, on peut faire voter n’importe qui, de même avec les diatribes des prédicateurs, pasteurs, gourous et autres imposteurs. Et si cela ne suffisait pas, quelle crédibilité apporter aux comptages de voix ?


Et figurez-vous que notre DJ fut élu maire de Tana en 2007, soit à  33 ans, pas mal non ? Comme ça, sur son charisme, sa valeur entrepreneuriale,  avec sa radio, sa société d’affichage, mais aussi belle maman. Bref, dans ce pays de cocagne pour le fric, rien n’est impossible et notre Handry arracha la mairie de Tana, qui est un tremplin quasi  obligatoire pour un merina. Ravalomanana avait prévu d’y placer un homme à lui, mais il fut battu. Connaissant Madagascar, on devine que tout ceci ne fut pas simple, ni gratuit, ni d’un côté ni de l’autre. Pour l’occasion il monta un parti politique, le TGV,  «  Tanora malaGasy Vonona »  (traduction : « Jeunes Malgaches prêts »), qui se déclarait franchement en opposition à Ravalomanana . Ce n’est pas non plus gratuit !

Ceci dit, la même année, Ravalomanana était réélu sans discussion possible à la Présidence de la République. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fit rien pour favoriser le travail de Rajoelina à Tana, coupant les subsides de l’Etat, tandis que la Jirama elle, coupait fréquemment l’électricité pour une histoire d’ardoise laissée par les précédentes mairies, et contestant son monopole des panneaux d’affichage. De plus de fréquents conflits les opposaient avec la chaîne Viva. Tout ceci tourna en eau de boudin, avec l’histoire entre autres des coréens de Daewoo et Ait Force 2 en 2009, Rajoelina ayant pris la tête de l’insurrection politique. Il s’en suivit des émeutes sérieuses, et Ravalomanana dut négocier son exil non sans avoir fait tirer une dernière fois sur la foule, faisant une trentaine de mort, à cette occasion. Il avait prévu de donner les cles de Madagascar à une Junte militaire, qui elle remit le pouvoir pour la transition à Rajoelina. A 35 ans donc.

Depuis, durant 3 ans, d’une part Ravalomanana fait tout pour revenir, entretenant sur place une opposition très active depuis son exil en Afrique du Sud, la Haute Autorité de Transition que Préside Rajoelina, avec l’aval de la Haute Cour Constitutionnelle, Haute Autorité qui regroupe une collection de « ministres » de toutes tendances jusqu’à assez récemment les partisans du Président déchu, ,n’est pas parvenue à organiser des élections, est régulièrement menacée de se voir couper les vivres, ce qui fait le bonheur des généreux chinois qui visent le Pétrole et les métaux, mais également doit composer avec les américains très pro Ravalomanana.


Il n’est pas exclu que Rajoelina n’ait pas la moindre compétence pour un tel poste, et les « investisseurs » s’en donnent à cœur joie, consolidant un neo colonialisme étouffant pour le peuple. Au début l’Elysée par la voix de Nicolas Sarkozy a fait remarquer que Rajoelina avait pris le pouvoir par un coup de force ce à quoi les malgaches répondent qu’il a été validé par la Haute Cour et que Ravalomanana avait fait de même. Ceci dit aussi, les attaques de Ravalomanana contre la francophonie, faisaient craindre pour les intérêts français encore puissants là-bas, et agaçaient souverainement les français. Donc depuis, comme toujours, une attitude très France Afrique a été observée. D'un côté une certaine forme de « reconnaissance » de Rajoelina, même si elle est mesurée et assujettie à un certain nombre de concessions, en particulier pétrolières mais pas seulement, en plus en contre chant, on susurre qu’une sortie possible serait le "ni ni", c’est à dire ni Rajoelina ni Ravalomanana, aux prochaines élections, lequel  Ravalomanana est totalement opposé à cette éventualité et, depuis son exil doré vient de se faire incroyablement réélire Vice-Président de l’Eglise FJKM. Pas mal pour un homme condamné par la justice de son pays à la prison à vie par contumace.

Je reproduis ici un article paru sur  Sobika pour info :

 

Test grandeur nature

 

 

Les élections pour le renouvellement des membres du bureau au sein de l’Eglise réformée Fjkm n’auront pas été une promenade de santé pour les deux candidats à leur propre succession, à savoir les Présidents et Vice-président sortants, respectivement Lala Rasendrahasina et Marc Ravalomanana. S’il est vrai que, dans d’autres domaines, notamment celui politique, plus les résultats des scrutins sont serrés, plus les consultations peuvent être qualifiés de démocratiques, le fait se prête à des interprétations beaucoup plus inquiétantes non seulement pour les vainqueurs mais aussi et surtout pour l’organisation concernée, en particulier dans les circonstances actuelles. Car sans aller jusqu’à dire qu’il fallait s’attendre à un plébiscite, force est de constater que les résultats réalisés par les deux candidats suscités n’ont pas été à la mesure des intenses actions de lobbying en leur faveur qui ont précédé les opérations de vote.

 

Ceci, sans parler des autres arguments plus que percutants  -  pour ne pas dire sonnantes et trébuchantes  -   qui, on le devine, auraient pu accompagner les propagandes. Dans tous les cas, au vu de ces victoires dans un mouchoir de poche, le moins qu’on puisse dire est que, dans des conditions « normales », les deux favoris auraient sûrement été proprement terrassés par leurs adversaires aux moyens beaucoup plus modestes..

Au-delà, pour beaucoup, ces scores presque de parité des élections à la tête de la Fjkm, bien même qu’ils soient plus ou moins tronqués, ne peuvent que refléter la division en son sein et sans qu’il soit besoin de le souligner, il est clair qu’elle puise ses origines, en grande partie, dans la crise qui affecte le pays actuellement. Pour moitié en effet, ce vote sanction signifie un désaveu à l’égard de ceux qui ne se sont pas privés de mélanger le spirituel avec la chose politique, voire d’instrumentaliser le premier au profit de la seconde. Pour moitié, il s’agit d’un désaccord manifesté à l’égard de ceux qui se sont révélés être à l’opposé de ce qu’ils étaient censés être, c’est-à-dire des directeurs de conscience.

Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne particulièrement Marc Ravalomanana, beaucoup estiment que, si ces élections s’étaient tenues au suffrage universel direct, elles auraient pu servir de test grandeur nature pour sa popularité actuelle, du moins au niveau de la communauté protestante. Et si déjà, sur ce qu’on aurait pu considérer comme étant son « terrain de prédilection », il apparaît que l’homme avait tout le mal du monde à obtenir une confortable majorité, qu’en sera-t-il dans la prochaine course à la magistrature suprême du pays auquel il compte s’aligner et où l’électorat sera beaucoup plus large, pour englober notamment  -  et pour ne citer qu’eux  -  les croyants de la très puissante Eglise catholique que l’ex-Président, nul ne l’ignore, n’avait absolument pas en odeur de sainteté tout au long de son quinquennat et demi ?

 

En attendant, vu de l’extérieur, la corruption s’amplifie de façon dramatique, la misère aussi, avec l’insécurité. Et le pays coule, sans véritable gouvernement, à la merci de toutes les spéculations ! A tel point que je connais des gens très modèrés qui pensent que pour sortir de ce marasme il faudrait une junte militaire "probe" qui organiserait les élections! C'est dire si ça va mal!

 

A suivre : les enjeux de Madagascar

1 commentaire:

Maja Lola a dit…

Toujours enchantée et intéressée par ta documentation, ton analyse et ton clair exposé Chulo. Tu démontes (et démontres) le système avec une précision de vrai reporter où transparaît toujours ton amour pour ce pays.

La misère la plus cruelle côtoyant le glamour, l'opulence et la corruption d'une jet set cynique et méprisante.
Si cette dernière prête à sourire et quolibets dans nos pays nantis, on en mesure toute la noirceur et l'injustice dans ce pays où est martyrisée sa population la plus démunie !