Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

lundi 19 novembre 2012

Comptabilité mortelle


Suite à la parution de l’article précédent, aux commentaires de Gina et Maja Lola, et à trois contacts hélas « off » concernant ce texte, je voulais répondre en commentaires mais à la réflexion, je pense que le sujet mérite un développement autre.

En gros, on me fait remarquer que le décompte scrupuleux des victimes est assez inutile car, qu’ils soient, 35000 ou 40000, voire 200 000, par exemple, cela ne change rien à l’affaire. D'autant qu'en plus, par exemple lorsque la France réprima la révolte des malgaches, en 1947, elle laissa sur le carreau pas loin de 70 000 victimes et inaugura une façon de se débarasser les "sorciers" qui prétendaient protéger les malheureux des balles, en les précipitant vivants des avions sur les villages.

Certes, j’entends fort bien cet  argument, d’autant qu’on a fait bien mieux depuis que pendant la Guerre d’Espagne et après.

Mais je voudrais dire que cette Guerre d’Espagne, à laquelle je voue une passion surement excessive, me parle beaucoup de thèmes qui sont d’actualité : ces gauches qui seront toujours condamnées à l’impuissance, par leurs divisions, ces droites qui savent toujours se mobiliser autour d’un « chef ». Ou encore, la difficulté pour la gauche d’être un parti de pouvoir, alors que celui-ci fait partie intégrante de la culture de droite pour laquelle il est un dû.

Certes, en Espagne, en 36, la République restait quelque chose de fragile, un colosse aux pieds d’argile, qui s’effondrerait, victime certes de Franco mais aussi de ses divisions, de ses contresens révolutionnaires, de son immaturité, mais aussi de son manque de « chef de guerre » ; chefs de guerre que n’étaient ni Manuel Azana, ni Indalecio Prieto, ni Largo Caballero, ni Companys, ni Aguirre, ni Giral, ni Casares Quirogas ni, encore moins Besteiros. Le seul qui aurait eu cette dimension étant probablement Negrin, arrivé trop tard, alors qu’avec la chute du Nord de l’Espagne, la messe était dite. Sans oublier les anarchistes, dans leurs différentes déclinaisons, qui voulurent faire la révolution pour gagner la guerre et furent à l’origine des émeutes de Barcelone, en 1937, qui causèrent la perte de Largo Caballero, avec la chute Malaga, tout en approfondissant la rancœur entre les communistes et certaines tendances de la gauche.

Ces communistes ou sympathisants qui avaient fait un énorme travail de reconstruction d’une armée républicaine inexistante, avaient su organiser la défense de Madrid, mais hélas, par la suite, les défaites se succédant, étaient entrés en conflit ouvert avec certaines composantes de la gauche, exportant, en particulier les ignobles  purges anti trotskistes ou plus généralement staliniennes, dont la victime la plus célèbre fut Nin, le leader du POUM, disparu corps et âme, après avoir été torturé.

Ceci je l’écris à contre cœur, car j’aurais aimé ne voir que de la noblesse et de l’héroïsme désintéressés dans les agissements des républicains de tous crins. Mais c’est vrai aussi que cette République fut trahie, condamnée, isolée par le non interventionnisme cher aux anglais, alors qu’Italiens et Allemands agissaient en toute impunité. C’est vrai que la malheureux Blum avait envoyé dans le sillage des mercenaires, par ailleurs hors de prix de Malraux,  des avions dépassés techniquement et surtout désarmés.

L’aide de Hitler fut quasi immédiate avant la fin du mois de Juillet, et spécifiquement envoyée au seul Franco, qui par là même, consolidait sa position de leader. Les italiens allaient suivre immédiatement.

Cette aide permit surtout de commencer à injecter des troupes cantonnées au Maroc, par voie aérienne,  Tercio  et Regulares, troupes disciplinées, impitoyables, bien armées et entrainées, dont la seule vue faisait se disperser les milices républicaines, désarmées, non encadrées et suprêmement désorganisées pour ne pas dire bordéliques.

Au Nord, dans la Navarre carliste, Mola avait pris le pouvoir à Pampelune, sans difficulté, et disposait de la milice armée des Requetes, que la République avait laissée se développer avec l’aide en particulier des italiens. Cette milice était nombreuse, très performante et valait les troupes marocaines.

Cette montée du Sud vers Madrid, en particulier par les troupes de Yague, fut d’une violence inouïe, face à des milices inexistantes, sans commandement et désarmées avec la terrible prise de Badajoz et le massacre dans les arènes, et ce dès la mi-aout. Badajoz payait deux choses : le fait d’avoir été le théâtre de collectivisations de terres pendant le premier semestre 1936, mais aussi de permettre de contrôler l’accès au Portugal, tout en permettant de faire par l’Ouest de Madrid, la jonction entre les armées de Mola et celles de Franco.  Yague répondant à un journaliste avait affirmé que oui, on avait fusillé en masse, car on n’allait tout de même pas laisser derrière soi 4000 « rojos ». Les nombreux journalistes dont Neves et Allen, et surtout le photographe français Brut, passés par Badajoz  ayant produit des articles et photos extraordinaires furent discrédités, surtout Neves qui était portugais, alors que le Portugal dès le début apportait un soutien sans condition à Franco, facilitant en particulier les livraisons d’armes.

Pourquoi cette digression apparente ? Et bien tout simplement parce qu’on touche au cœur du problème. Les britanniques qui ne voulaient pas fâcher Hitler, préféraient Franco à la République. Les lobbies catholiques s’étaient rapidement rangés aux cotés des franquistes, informés ou manipulés par la hiérarchie espagnole. Et on entrait dans ce qui allait devenir une façon d’être du franquisme : le déni. Badajoz serait une invention, Guernica aurait été incendiée par les « rojos » et de Durango on ne parlait même pas.

Il est curieux de constater que la très bien-pensante Croix Rouge était présente pour les massacres rouges de Paracuellos, mais n’avait pas jugé bon d’être à Badajoz, ni à Guernica, ni à Durango ni même dans toutes ces villes décimées lors de la marche des troupes marocaines vers Madrid. Il est vrai que dès le départ les rebelles surent contrôler l’information dans leurs lignes, y compris par le meurtre ou la terreur, alors que la République, forte de son soutien par nombre d’intellectuels facilitait plutôt, au moins au début, l’accès aux  informations.

En tous cas, pour définitivement en venir au thème de cet article, il est curieux de constater combien Franco avait compris l’importance des chiffres, quitte à les manipuler, par l’intermédiaire de la Causa et son fameux score de parité, car en Espagne les vainqueurs écriraient l’histoire, leur histoire,  pendant pratiquement 40 ans.

Le déni a également très longtemps été la règle, relayé par les medias, et la totalité de la classe politique et religieuse.

Il me semble que l’on doive considérer ce décompte morbide et masochiste, d’une certaine façon, comme la façon, ou une façon, précisément de démonter un système basé sur le mensonge institutionnalisé, mais aussi in fine d’essayer de comprendre comment un homme aussi terne, aussi dénué de tout charisme, que Franco ait pu rester au pouvoir pendant près de 40 ans. On peut tenter l’explication qu’en fait, il servait une partie de la population précise, qu’il favorisait et gratifiait en permanence. Ainsi,  il gratifiait une moitié bien-pensante de l’Espagne tout en réduisant au silence le plus douloureux,  l’autre moitié.

Pour Franco, la guerre ne s’achèverait qu’avec sa mort.

jeudi 8 novembre 2012

Pio Moa pape du révisionnisme espagnol


Pio Moa, dont on dit qu’il était l’auteur fétiche d’Aznar, termine « los mitos de la guerra civil », par une fulgurante affirmation. Encore faut-il au préalable faire une remarque : ce titre vient évidemment grossièrement en contre du fameux « les mythes de la croisade de Franco » du formidable Southworth, qui lui avait lu tout ce qui avait été écrit sur la Guerre d’Espagne, et possédait une  bibliothèque invraisemblable.  Son œuvre pratiquement se limite à ce « mythe », œuvre de toute une vie d’études et  la narration de Guernica. Autrement dit, à l’inverse de Monsieur Pio Moa, ex activiste gauchiste converti, ce sont les pires, il éplucha tout, et y dédia sa vie entière, jusqu’aux moindres recoins, démontrant en particulier quand les gens parlaient de livres qu’ils n’avaient pas lu, ce qui est encore très fréquent de nos jours. Rien n'est plus simple qu'alimenter une bibliographie, voire même de pomper des citations pour faire penser qu'on a bien lu l'ouvrage.

Donc je vous délivre la pensée de notre fabricant de best seller historiques : «  le thème est entré dans la littérature ET Le cinéma, toujours avec le même mélange d’ignorance et de sectarisme, tandis que diverses associations promeuvent des campagnes de propagande autour de telle ou telle « fosse commune » découverte, autour de tel ou tel cadavre, sans oublier, la référence constante à Garcia Lorca, afin de maintenir ouverte la plaie sous prétexte de « récupérer la mémoire historique »….tout en condamnant à l’oubli, c’est clair, les victimes de l’autre camp, sacrifiées, en définitive, par « l’indignation populaire ».  

Est-ce un hasard, on dirait du Mundotoro et du Dédé dans le texte, lorsque ce dernier malotru  s’insurgeait contre le « devoir de mémoire », à peu près dans les mêmes termes. Mundotoro, cela se comprenait car il appartenait à l’omnipotent Jean Pierre  Domecq, dont les idées gauchistes n’échappaient à personne. Dédé dont la carrière taurine fulgurante doit beaucoup aux prévenances des socialistes landais, je comprends moins bien, quoique nous ayions tous pu commettre des erreurs de jeunesse et de jugement. A moins qu’il s’agisse simplement d’opportunisme ou de « marquetinge » qui lui a plutôt bien réussi, dans le sillage de la richissime et très influente Esperanza Aguirre, comtesse de Murillo et du PP, qui dut récemment se retirer de la Présidence de la Communauté de Madrid, pour de sérieuses raisons de santé, un flirt non moins prononcé avec certains media, et une proximité assez douteuse avec ce que l’extrême droite a de plus présentable, la CEU, refuge doré des membres du PP virés par l’arrivée de Zapatero, et engraissés sous la mère en vue d’un lendemain prometteur, sans parler du flamboyant Ambassadeur de France à Madrid qui utilisa nos deniers pour promouvoir le visionnaire des dunes. Ca je l’ai encore en travers du gosier ! Et je me souviens avec la nausée des commentaires  lorsque l’ouverture de la fosse de Viznar où était censé être enterré Federico Garcia Lorca s’avéra improductive. C’était dit, le sieur ne reculerait devant aucune compromission, pourvu que le vent fût porteur. Il suffit de le lire actuellement, exactement à l’opposé de ce qu’il nous infligeait auparavant, lorsqu’il brandissait un anathème haineux contre les « talibans » et autres « ayatollahs », dans tous les cas « irresponsables » de ne pas voir ce que ce toro moderne avait de bouleversant et brave, mais aussi coupables de critiquer les « figuritas » si « nécessaires » au devenir de la corrida, par le remplissage présumé des arènes. Figuritas qui par ailleurs étaient les seules à savoit tirer un profit optimum de ces fauves impitoyables, si difficiles à toréer.Il semble d'ailleurs qu'il ait procédé à un tri soigneux dans ses textes, une manière de "limpieza" à la façon du héros de ses amis.

En tous cas, il est extrêmement  faux de dire que les victimes des républicains ont été ignorées, et ce, au moins pour deux raisons essentielles :

-         la première étant évidemment que les vainqueurs franquistes les ont recensées jusqu’à la  dernière, quitte d’ailleurs à gonfler la note. La fameuse « Causa » a largement œuvré dans ce sens. Et pour démontrer combien elle était équitable, elle admettait un score de parité, 50 000 de chaque côté. Mais l’histoire progresse toujours, les archives finissent par s’ouvrir ou être exploitées, en particulier par recoupements de différents documents et témoignages, et, en intégrant les victimes de la répression d’après-guerre on arriverait à un rapport de un pour cinq.  Cela a demandé un travail extrêmement minutieux qui, communauté par communauté, n’a pu être mené à bien que largement après la mort de Franco, et même durant la "transition", on ne facilita pas la tâche aux curieux.  Aujourd’hui on estime qu’un décompte exact a été établi dans pratiquement 80 pour 100 des communautés, ce qui autorise des extrapolations plus fines.

-          la seconde raison est que les sympathisants de la République regrettent les inutiles massacres de curés qui portèrent un tort énorme à la République ainsi que le massacre de Paracuellos et autres « paseos » ou « checas ». D’ailleurs, les différents gouvernements de la guerre, républicains, s’entend, tentèrent  d’endiguer cette violence imbécile et nuisible, car très contreproductive vis-à-vis des si puissants lobbies catholiques de l’étranger. Ils y parvinrent plus ou moins pour les meurtres des ecclésiastiques qui eurent lieu en très grande majorité pendant les 6 premiers mois de la guerre.  Et il est évident, qu’avec les lois de « responsabilidades »  franquistes qui permettaient de poursuivre quiconque était soupçonné de sympathie pour la République, et ce, entendons nous bien, car les derniers fusillés et garrotés du franquisme le furent dans les années 70, donc, ce quiconque, qui  s’opposait soit concrètement soit par simple passivité au « glorieux mouvement », risquait très gros, on voit mal pendant les 40 ans pratiquement du règne franquiste qui pourrait revendiquer un parent « rojo » victime de la répression franquiste. C’est en tous cas cette parité que soutient  notre activiste gauchiste repenti, à l’heure où cela ne fait même plus débat. J’ai beau lire des ouvrages d’historiens franquistes, je n’y vois jamais le moindre repentir, mais plutôt une négation obstinée de faits maintenant totalement avérés, et toujours en les minimisant voire en les justifiant.

Mais en fait, les plus de 500 pages de « Los mitos de la guerra civil », dont celui que je possède est la 36ème édition, veulent démontrer que  « Toutefois, Franco ne pensait pas s’être rebellé contre une république démocratique, mais plutôt contre un péril révolutionnaire extrême. Avait-il raison ?  Si les faits exposés dans cette investigation sont corrects, ce dont je suis sûr,  il est certain qu’il avait raison». C’est sa conclusion.

Et ici, on se retrouve au cœur du raisonnement des « révisionnistes » espagnols : à savoir, ce sont les républicains espagnols,  les socialistes, anarchistes  franc maçons et communistes espagnols qui ont initié la guerre en 1934 lors de la grève révolutionnaire, qui  par ailleurs  avait  lamentablement échoué en particulier à Madrid, fief pourtant du « pseudo révolutionnaire » Largo Caballero, et à Barcelone où la CNT était si puissante. Seuls les mineurs des Asturies luttèrent et furent matés par un certain Franco et ses troupes marocaines, en particulier. Mais surtout, pour ces "historiens" rien dans la société espagnole ne justifiait un tel déferlement. L'Espagne était dans un  mode légèrement perfectible mais plutôt idéal: Roi, Armée, Eglise, Possédants de tous ordres. Même d'ailleurs les plus modestes possédants en particulier agricoles, à condition qu'ils vénèrent l'Eglise, dont Franco tira, aussi, sa force.

Si on suit ce raisonnement, on peut aussi dire, que ce mouvement insurrectionnel avait pour origine la reprise en main par la droite en 1933 du pays, suite à des élections, par ailleurs perdues par les républicains, en grande partie à cause de l’attitude stupide de Largo Caballero, droite qui s’ingénia à essayer de revenir sur toutes les tentatives de réformes structurelles des républicains entre 1931 et 1933.

Mais aussi bien sûr qu’il y avait eu dans cette  première période les émeutes anarchistes, en particulier celle de « Casas Viejas » qui firent vaciller le fragile équilibre maintenu autour de Azana, mais aussi la tentative de « pronunciamento » de Sanjurjo, que pour leur malheur, les républicains réprimèrent avec une facilité extrême. Pour leur malheur car, durant le premier semestre de 1936, quand tout Madrid bruissait des préparatifs de la révolte des généraux, encadrée par Mola, il y eut des socialistes en particulier, qui semble-t-il pensaient que ce serait une nouvelle « sanjurjada » et qu’elle serait réduite facilement, et qu’enfin le régime socialiste en sortirait renforcé.

Bref, suivant ce raisonnement jusqu’au bout, ce dont se garde bien notre plumitif, c’est lorsque les républicains arrivèrent au pouvoir en 1931 et instaurèrent la Seconde République, qu’ils déclenchèrent la Guerre d’Espagne de Monsieur Pio Moa. Ce qui par ailleurs signifie bien qu’il y eut un choc frontal entre deux Espagnes : une qui voulait un changement radical, l’autre qui s’arcboutait sur ses privilèges.