Dans le Sud Ouest
Dimanche de ce dimanche, Jean-Claude Guillebaud a signé
un édito remarquable. Je le dis d'autant plus volontiers que je
peste souvent contre cette publication hebdomadaire que je feins de
n’acheter que pour son supplément TV, et, il faut bien le dire,
les papiers formidables du très talentueux Christian Seguin :
très belle écriture, fausse légèreté plus proche d'un certain
dandysme, élégance donc.
Pour en revenir à Jean
Claude Guillebaud, ce n'est pas réellement un gauchiste, ni un
excité. Son article s'intitule « En finir avec
l'absurdité ». Pour illustrer son propos il cite
l'allemand Ingo Schulze, qui par exemple a écrit que «
le délitement de la démocratie, la polarisation économique et
sociale croissante entre pauvres et nantis, la ruine de l’État
social, la privatisation et la marchandisation progressive de tous
les domaines de la vie » ne serait pas acceptable plus
longtemps.
Jusque là, ce sont des
choses qu'on murmure, constatant, avec terreur qu'on va droit dans le
mur sur le cheval fou du « libéralisme » échevelé
et surtout assassin. On constate bien sûr, mais on ne fait rien,
attendant d'être vidés de notre substance sur place, avec cette
excuse qu'on n'y peut rien, que c'est la mondialisation, et surtout
qu'il ne faut pas déplaire aux marchés, au risque de se faire
vampiriser.
Pour illustrer cette
absurdité, il cite donc deux expressions qu'il juge pour la première
comme « une sottise », l'autre comme
« passablement obscène ». La première est de
notre icône européenne, la si vertueuse et visionnaire Madame
Merkel , dont précisément Schulze cite une formule
datant de deux ans : « Il nous faut une démocratie
conforme au marché », formule
qui est la sottise.
Guillebaud fait
remarquer qu'aucune presse et pas seulement la française n'a sauté
au plafond. Concernant la « passablement obscène »,
c'est Poutine qui s'y
colle lorsqu'il utilise souvent, selon Guillebaud
, la formule « démocratie dirigée » pour
évoquer cette démocratie si maltraitée, mais il vrai que la
« démocratie dirigée »
est une spécialité des régimes dits communistes. Deux âneries
colossales, comme si la démocratie pouvait être dirigée sans
perdre évidemment toute sa signification, ou encore qu'elle devait
être conforme au marché, c'est à dire, également, soumise au
marché. Et selon Guillebaud, Schulze
ajoute : « Si nous voulons survivre
économiquement, socialement, écologiquement et éthiquement, il
nous faut des marchés conformes à la démocratie ».
Bien
sûr, ceci en dit long sur le niveau d'implication du politique vis à
vis du social. C'est aussi un aveu d'impuissance terrible traduisant,
qu'on le veuille ou non un asservissement tragique aux puissances de
l'argent, au détriment de toute idéologie et de vrai combat
politique. Nos malheureux politiques n'ont en mains que des pétards
mouillés, les armes de destruction massive sont ailleurs entre les
mains de ce qui devient une oligarchie mondiale, et une peste
argentée. On devine évidemment toutes les pressions chantages qui
sont exercés sur les politiques quels qu'ils soient du type :
« ne m'emmerde pas ou je délocalise et te refile
quelques milliers de chômeurs sur les bras », sans
parler des « interactions »
euphémismes avec les partis politiques par valises de fric
interposées. On devine bien sûr que ces « dons »
étaient à fonds perdus et sans espoir de retour, sous quelque forme
que ce fût. Mais bien sûr tout ceci a cessé depuis belle lurette !
Et
puis, on dirait que la leçon de 1929 n'a servi en rien. C'est à
peine si on se souvient qu’elle a amené Hitler, Mussolini, Franco,
Salazar, Staline, et bien d'autres, injustement, de moindre renom. Et
encore, à cette époque, les puissances d'argent, banques,
industriels, propriétaires terriens étaient moins généralisés et
pas encore regroupés
en une oligarchie mondiale.
Face
à cette impuissance du politique, où des élections se jouent avec
30 pour cent de participation, il faudra bien se convaincre que comme
l'écrit Guillebaud ,
le rôle du politique n'est pas de « rassurer les
marchés » mais bien de
« rassurer les citoyens ».
Un
ami cher, content de mettre les voiles pour l'Espagne et l'Andalousie
en particulier me disait aussi son dégoût profond pour cette classe
dirigeante stéréotypée, sans imagination ni fierté. A mi-mots, je
crois comprendre que selon lui, cela finira mal, très mal.
Face
à cette désespérance qui se généralise, bien sûr, les extrêmes
prospèrent, dans une débauche de populisme, aussi bien de droite
que de gauche, extrêmes évidemment. Et le populisme, tout le monde
sait où cela conduit.
Et
à ce sujet, au risque de faire rire, je dirai qu'à bien y
réfléchir, les similitudes entre les deux situations des années
trente en Espagne et maintenant sont plutôt frappantes :
domination d'une caste dominante ou de castes dominantes
réactionnaires, échec du parlementarisme, gauche balayée en partie
par ses propres incohérences et divisions, tentative
de domination du religieux
dans la vie sociale.
Il
me vient aussi à l'esprit combien, et encore aujourd'hui, Mai 68,
dont pour la droite, la faute principale et impardonnable est de
l'avoir faite trembler sur ses bases, est
encore donc insulté, déformé, ridiculisé. Pourtant, tout de ce
qui nous arrive aujourd'hui était dénoncé et prédit. On le voit
bien « ne pas désespérer Billancourt »,
« métro, boulot, dodo »
et tant d'autres slogans, comme « il est interdit
d'interdire » ou « sous
le pavé la plage » ont un
sens actuel, qu'on le veuille ou non.
Mais
voilà, lorsque les banques se sont affaissées, victimes de leur
imprévoyance, incompétence, affairisme ce sont les États dont
nous, les pékins qui les ont renflouées, au prix d'une précarité,
d'une paupérisation, d'une polarisation haineuse et d'une
désespérance généralisées.
Alors
bien sûr « l'indignation »
est de mise mais sûrement non suffisante, mais malheureusement elle
ne fonctionne que dans un seul sens. On l'a vu il n'y a pas si
longtemps, lorsqu'un gouvernement de gauche a battu en retraite
devant l'indignation des grotesques
« pigeons ».
Les
grecs ont certainement commis bien des erreurs, surtout leurs
dirigeants d'ailleurs, tout comme les italiens, les espagnols, les
portugais les français, même les anglais, mais les rigueurs qu'ils
doivent subir sont proprement insupportables. Jusqu'à quand
supporteront t'ils ? Sans broncher ?
J'en
doute !