Navalon de tentadeo

Navalon de tentadeo
Navalon de tentadero. Photo de Carmen Esteban avec sa permission

lundi 19 mai 2014

Divagations autour de "La Ferme des Fous"


Le chagrin, cette blessure de l’ame, vous envahit et vous réduit à l'impuissance. Le malheur qui peut se manifester quasi simultanément sous différentes formes, vous anéantit, vous froisse comme un papier d’emballage détroussé avant de rejoindre la poubelle. Alors vous n'avez plus ni envie d'écrire, ni de vous insurger, ni de parler, encore moins de parler de toros. Si vous saviez comme je me fous des états d’âme du roulis, ou de la fasciste Sra Dª Mercedes Picón y Agüero, Marquesa de Seoane, qui poursuit toujours, avec sa choucroute sur la tête « los rojos » d'une haine inexpugnable, elle, la roturière. Et je me marre de voir certains irréductibles gauchistes, staliniens repentis , ou « connaisseurs » de la Guerre d'Espagne, honorer ce symbole vivant de la réaction espagnole, du vrai fascisme, pourtant rare en Espagne, accompagnée de son veau sous la mère. Donc, au risque de heurter certaines sensibilités autoproclamées détentrices de la corrida la seule, la seule vraie, la leur, celle des vrais Veragua de la Marquesa de Seoane, on se marre, je n'aime pas les Prieto. Et je le dis haut et fort. Et même, vous l'avouerai je, je n'apprécie pas Fandino. Tout comme je me fous de la stupéfiante reconversion du visionnaire du Boucau. Çà m’arracherait même un sourire, au cœur de cette année de froides nuits.

 

Voilà c'est dit. Le froid peu à peu s'évade des os, sans précaution excessive, parfois avec des craquements, comme s'il étouffait et avait besoin de l’âme du feu. Mathilde rit en regardant des conneries à la télé. Comme si les sublimes aubes de Deck peu à peu s’effilochaient, au dessus des marais landais, peut être ceux d’Orx, près de chez lui, pour laisser place à un soleil de frileuses mais bienfaisantes espérances. Le soleil de chez nous. Ce soleil naissant, avec sa lente montée en température, bienfaisante comme la joue d'une mère. Et puis j'ai aussi les amis du net, le kine nimois que je trouve un peu triste, maja, ludo, gina, mon « hermanito » de las Ventas, ma Condesa chérie, mon Xavier, mon cher JLB aussi et Largo Campo, et le Deck, bien sûr. Tous ont su, parfois par leurs paroles, leurs écrits, leurs mots si pudiques, ou leurs silences,  me dire que nous n'étions pas seuls,  quand la boue molle et tiédasse de la détresse durcissait autour de nous, pour nous pétrifier. Car on n'a plus la force de lutter pour casser l'emprise. Merci à vous mes amis de m'avoir épargné les platitudes, les phrases convenues, ou les « c'est normal ». Le malheur n'est jamais normal, c'est une saloperie, partout dans le monde, mais décider de ne plus se battre, nom de Dieu, Mathilde!

 

Bien sûr, avec mes petits problèmes, je me trouve maintenant un peu con, même si, jamais plus je ne baisserai la garde. Parce qu'il ne faut pas le faire. Et les guerres partout. Dans les guerres ce sont les civils qui trinquent, surtout les enfants. Je hais la guerre, celle qui met ces terreurs dans les yeux immenses des innocents. Certains sur les blogs ont tout compris et savent où sont les sympas et les fachos. Moi pas. J'envie leur naïveté ? Naïveté ou manipulation, ou propagande de pacotille. Non, elle me désole. Le doute rend les nuits invivables. Les certitudes, même les plus obscènes aident à dormir du sommeil de l'injuste, le plus fréquent, ou de l'ivrogne, ou de l'imbécile. Le salaud est celui qui tire les ficelles. Mais laissez les femmes, les civils, les enfants en paix, bande d'ordures.

 

Voilà, je me répète. L'Olivier lui, a écrit un livre immense. Je crois, d’après ce qu’il m’en a dit récemment, que lui même ne le mesure pas. « La ferme des fous ». On sentait bien avec « Adios Cartucho », qu’il se passait de grandes et belles choses chez notre écrivain. Ce titre qui sonnait si fort la guerre et en rythme sec de « taconeo» disait la couleur de l’Espagne martyrisée d'alors,  avec l’Ebre roulant des flots boueux de sang, devenu, sous une couverture immonde qui mériterait pour l'illustrateur de réhabiliter le garrot ou la guillotine, et le titre ordurier, racoleur, visant les 1500 d'un livre taurin, « Adios Torero », le pire titre possible, le plus laid, le plus putassier, le moins conforme au livre, dans un graphisme à dégouter un anorexique de vomir. Pourquoi pas « l'amoureux éconduit ? » trop « Concon ? » . Allons messieurs du Diable, Olivier méritait mieux, le texte aussi. Mais il vrai aussi qu'un grand texte finit toujours par renaître des injures au talent des éditeurs, marketing oblige disent t’ils.

 

Voilà, une nouvelle fois, c’est dit. J’ai connu en ces temps d’angoisse un psychiatre qui voue sa vie aux adolescents en souffrance. Il est géant et joue de la guitare rock. Tout en lui exprime l’attention portée aux autres, la bienveillance sans mièvrerie, le respect, hé oui, le respect. Tout le personnel de son institution est chaleureux, respectueux, ouvert, à l’écoute. Avec le psychiatre référent, les entretiens sont rudes, sans concession. On imagine l’adolescent éperdu, cherchant au fond de lui le mensonge ou le travestissement salvateurs, pour finalement céder. Par petits pas que seuls ces grands professionnels savent valoriser. A ceux qui en ont le goût et la capacité, on demandera beaucoup d’écrit. C’est ici que nous en venons, enfin à la « Ferme des Fous », ils pensent comme Colbert le psychanalyste, que l’enfermement en hôpital psychiatrique ne fait qu’aggraver les choses.

 

Chassé par la guerre ce psychanalyste part avec une poignée de malades, assumant le risque d’abandonner à leur triste sort, car les nazis n’aimaient pas les « fous », ceux dont il pensait que soit ils ne supporteraient pas le voyage, soit que tout espoir était perdu pour eux. A l’exception d’une vieille femme et d’un vieil homme pourtant quasi mourants.

 

Les autres sont certes malades mais jeunes et potentiellement actifs. Cette troupe de malheureux va trouver refuge dans une ferme, qui deviendra leur lieu de vie. Le psychanalyste développe l’idée que la maladie mentale ne peut être vaincue que si le malade mange bien et s’adonne à des activités, si possible de groupe. Donc le premier sujet d’occupation est trouver de la nourriture dans les fermes environnantes, mais également remettre en état la ferme délabrée et même cultiver un potager.

 

C’est une micro société qui se met en place, plus ou moins en marge de la société en guerre mais sans étanchéité entre les deux mondes. Les caractères deviennent plus tranchés lorsque la parole se libère.

 

C’est une œuvre complexe, qui marque encore une évolution chez Olivier Deck, dans la recherche d’un sens dans l’art, gagnant au passage une grande profondeur. L’écriture est celle de toujours de Deck mais peut être plus épurée, incisive, s’autorisant des violences inhabituelles, avec parfois des moments de grâce descriptive. Car la nature reste l’âme et l’homme une racine.

 

Disant cela je pense à Companys, à la même époque pratiquement, ce grand leader politique catalan, livré à Franco avec Peiro et Zugazagoitia par Vichy. Companys donc, qui demanda à ôter ses chaussures blanches pour être fusillé, afin de sentir sous ses pieds, une dernière fois,  sa terre de catalogne.

 

Il y a toujours chez Deck ce lien sensuel à la terre, sans qui l’homme ne serait rien.

 

Moi-même obsédé par la Guerre d’Espagne, je comprends cette obsession de Deck pour la période de l’occupation, surtout dans les campagnes. Tandis que les « fous » de la ferme suivent leur évolution sous l’œil du psychanalyste, au début peut être, plus spectateur qu’acteur, une petite fille lui donnera l’occasion d’agir vraiment et de se remettre en accord avec lui-même. Autour, l’occupation est prétexte à toutes les variations du genre humain. La veulerie, la lâcheté, la saloperie, la bonté désintéressée aussi.

 

Et ce qui m’a passionné est que la simple recherche de ce psychanalyste, ou son simple contact avec ses demandes simples, telles que disposer de la ferme plus longtemps, se procurer de la nourriture ou des médicaments, fait littéralement exploser tout le voisinage mettant à nu les haines, les mesquineries, les lâchetés, les rancœurs enfouies. Alors que le psychanalyste poursuit son chemin obstiné et solitaire, presque obtus, au moins avant la rencontre salvatrice avec la fillette, pour se démontrer à lui-même qu’il a raison dans sa démarche et que c’est la seule chose qui lui importe.

 

La fillette fera sortir Colbert de l'impasse d'une culpabilisation fondamentale, pas si bien assumée et fera du psychanalyste un homme nouveau. A lire, sans modération!